Qu’est-ce que le trouble bipolaire ? Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique grave, récurrente et parfois de longue durée, caractérisée par une dysrégulation de l’humeur et l’impulsivité correspondante, un comportement à risque (par exemple, abus d’alcool, indiscrétion sexuelle, dépenses excessives) et des difficultés interpersonnelles1. Les personnes atteintes de trouble bipolaire présentent un risque accru de décès par suicide, par maladie physique (par exemple, maladie cardiovasculaire), par homicide et par accident.1 Des données récentes suggèrent que, parmi les troubles neuropsychiatriques prévalents, le trouble bipolaire se classe au deuxième rang, derrière la dépression, pour la perte d’années de vie en bonne santé en raison d’un décès prématuré ou d’une invalidité.2
La recherche sur le trouble bipolaire s’est principalement concentrée sur le trouble bipolaire I. Un diagnostic de trouble bipolaire I nécessite au moins un épisode de manie, défini par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition – révision du texte (DSM-IV-TR) comme une période d’une semaine ou plus d’une humeur anormalement élevée ou irritable avec des symptômes associés, tels qu’un besoin de sommeil réduit, une plus grande bavardise que d’habitude, des pensées rapides et une participation excessive à des activités à haut risque3. Un épisode maniaque entraîne une altération marquée du fonctionnement social ou professionnel et nécessite souvent une hospitalisation.
Le trouble bipolaire II nécessite des antécédents d’au moins un épisode dépressif majeur, d’au moins un épisode hypomaniaque et pas d’antécédents de manie3. L’hypomanie est caractérisée par une période distincte d’humeur élevée, expansive ou irritable de façon persistante, qui dure au moins 4 jours et qui est clairement différente de l’humeur habituelle non dépressive du patient.3 Cependant, de nombreux cliniciens pensent que la » règle des 4 jours » spécifiée sur les critères du DSM-IVTR pour l’hypomanie est trop restrictive car elle ne tient pas compte des patients atteints de trouble bipolaire II qui ont des périodes hypomaniaques qui durent de 1 à 3 jours4.
Les caractéristiques typiques de l’hypomanie comprennent une estime de soi gonflée/grandiosité, une diminution du besoin de sommeil, une augmentation de la bavardise, une « fuite des idées » ou une course des pensées, une distractibilité, une augmentation de l’activité psychomotrice et une augmentation de l’impulsivité, comme des achats effrénés ou une activité sexuelle inappropriée. Contrairement à la manie, l’hypomanie n’entraîne généralement pas de graves difficultés sociales ou professionnelles, ni d’hospitalisation. Bien entendu, ces résultats peuvent varier en fonction du patient et de ses cliniciens. En outre, contrairement à la manie, l’hypomanie ne présente pas de caractéristiques psychotiques, bien qu’elle puisse en présenter au cours de la dépression. Il est important de souligner que l’hypomanie peut ne pas être euphorique. Elle se présente souvent sous forme d’irritabilité.
Les patients atteints de trouble bipolaire II présentent généralement des symptômes dépressifs majeurs, notamment un sentiment de tristesse ou de vide, un désespoir, une apathie, une inquiétude excessive ou une irritabilité. Des idées ou des projets suicidaires peuvent également être présents. L’hypomanie du trouble bipolaire II peut se manifester pour la première fois après un traitement antidépresseur. Cependant, l’hypomanie n’est pas diagnostiquée lorsque les symptômes du patient sont les effets physiologiques directs d’une condition médicale générale (par exemple, l’hyperthyroïdie) ou d’une drogue (par exemple, l’abus d’amphétamine ou de cocaïne).3
Le trouble cyclothymique est caractérisé par au moins 2 ans de nombreuses périodes de symptômes hypomaniaques et de nombreuses périodes de symptômes dépressifs qui ne répondent pas aux critères d’un épisode dépressif majeur.3 Le tableau 1 résume les caractéristiques essentielles de ces sous-types bipolaires.
Les symptômes de la dépression bipolaire diffèrent souvent de ceux de la dépression unipolaire. La dépression bipolaire implique souvent une augmentation du sommeil, une hyperphagie, une prise de poids et un ralentissement psychomoteur. Des antécédents de caractéristiques psychotiques pendant la dépression peuvent également être plus fréquents dans la dépression majeure bipolaire (par rapport à la dépression unipolaire).4,5
Les données les plus récentes sur le trouble bipolaire donnent une prévalence communautaire à vie de 1,0 % pour le trouble bipolaire I, de 1,1 % pour le trouble bipolaire II et de 2,4 % pour le trouble bipolaire sans seuil, soit un total de 4,4 % pour ce spectre du trouble bipolaire.6 L’âge de début est généralement la fin de l’adolescence pour le trouble bipolaire I et un peu plus pour le trouble bipolaire II. Presque tous les patients atteints de trouble bipolaire souffrent d’un autre trouble psychiatrique. Les troubles comorbides les plus fréquents sont les troubles anxieux, observés chez près de trois quarts des patients atteints de trouble bipolaire. Viennent ensuite les troubles du contrôle des impulsions et, enfin, les troubles liés à la consommation de substances psychoactives, qui concernent environ 4 patients sur 10 souffrant de trouble bipolaire.6
Identification du trouble bipolaire dans les populations cliniquesPeut-être que la présentation la plus spectaculaire du trouble bipolaire est le patient en manie aiguë qui peut avoir des illusions de pouvoir voler, qui déborde d’énergie, qui est agressif et dont le comportement est sauvagement inapproprié. Les épisodes maniaques sont souvent des urgences médicales et ces patients sont souvent amenés aux urgences par la police ou par une ambulance, puis hospitalisés. Cette présentation est toutefois beaucoup moins fréquente que celles vues dans les cabinets médicaux, tant de soins primaires que psychiatriques. Malheureusement, la bipolarité passe souvent inaperçue dans ces situations, car les symptômes maniaques ou hypomaniaques peuvent être plus subtils ou ne pas être perçus comme tels dans le souvenir que le patient a de son passé. Importance d’un diagnostic correct Ce manque de reconnaissance et d’attention à l’égard du trouble bipolaire entraîne un retard important dans l’obtention d’un diagnostic précis par les patients. Dans une enquête réalisée auprès de ses membres au début des années 1990, la National Depressive and Manic-Depressive Association (DMDA), un groupe d’entraide et de défense des patients, a constaté que près d’un quart des patients consultaient un professionnel dans les 6 mois suivant l’apparition des symptômes.7 Cependant, 48 % ont consulté 3 professionnels ou plus avant de recevoir un diagnostic correct, et 10 % ont consulté 7 professionnels ou plus. Trente-quatre pour cent ont attendu 10 ans ou plus pour recevoir leur premier diagnostic de trouble bipolaire.7 Dans un autre échantillon de patients bipolaires entrant dans le Stanley Foundation Bipolar Treatment Outcome Network, la durée moyenne du premier traitement du trouble bipolaire était de 10 ans.8 Dans une répétition de l’enquête nationale de la DMDA une dizaine d’années plus tard, les résultats étaient très similaires : 35 % des membres de la DMDA ont déclaré avoir attendu 10 ans ou plus pour leur premier diagnostic précis de trouble bipolaire.9
Ce retard de diagnostic a souvent des résultats négatifs substantiels. Les patients ne reçoivent pas le traitement approprié pour soulager leurs symptômes. Ils peuvent même recevoir des traitements qui exacerbent leurs symptômes, comme des antidépresseurs qui précipitent la manie et produisent des cycles rapides. Le fait de traiter à tort le trouble bipolaire comme une dépression unipolaire peut déclencher des épisodes maniaques ou déstabiliser la maladie. Dans une étude portant sur des patients atteints de trouble bipolaire qui avaient été traités à tort pour une dépression unipolaire, 55 % ont développé une manie ou une hypomanie, et 23 % ont développé des cycles rapides nouveaux ou accélérés.10
La présentation du trouble bipolaire dans les cabinets médicaux est très variable (tableau 2). Le patient peut se plaindre d’insomnie, d’irritabilité, de manque d’énergie, de difficultés à se concentrer et de difficultés relationnelles. Une présentation très courante implique des problèmes de contrôle de la consommation d’alcool ou de drogues. La présentation la plus fréquente est la dépression. Dans les établissements de soins primaires, plus d’un patient sur cinq souffrant de dépression présente en fait un trouble bipolaire. Par exemple, dans une étude récente portant sur des patients traités aux antidépresseurs dans une clinique de médecine familiale à Galveston, 21 % ont été dépistés positifs pour un trouble bipolaire.11 Les deux tiers de ces patients n’avaient pas été diagnostiqués pour un trouble bipolaire. Dans une étude portant sur 108 patients ambulatoires consécutifs ayant reçu un diagnostic de dépression et d’anxiété dans un cabinet privé de médecine familiale, 26 % présentaient un trouble bipolaire, dont la plupart un trouble bipolaire II.12 Dans une étude portant sur des patients déprimés dans une clinique de médecine générale urbaine desservant une population à faible revenu, plus de 23 % des patients présentant une dépression majeure actuelle ont été dépistés positifs pour un trouble bipolaire.13
Les taux de trouble bipolaire chez les patients déprimés vus par des psychiatres sont encore plus élevés. Dans un échantillon de 203 patients souffrant de dépression majeure dans un cabinet privé en Italie, 49% présentaient un trouble bipolaire, dont la plupart étaient bipolaires II.14 Dans un échantillon de patients souffrant d’épisodes dépressifs majeurs en France, 28% présentaient un trouble bipolaire.15 Une réévaluation minutieuse avec un entretien de recherche a trouvé des taux encore plus élevés dans ce même échantillon.
Ces données soutiennent fortement la fréquence élevée du trouble bipolaire chez les patients souffrant de dépression, principalement le sous-type bipolaire II. Malheureusement, la plupart de ces patients ne reçoivent pas un diagnostic précis et correct de trouble bipolaire. Cela peut conduire à un traitement inapproprié, qui pourrait bien aggraver la maladie. Par conséquent, il est impératif que les cliniciens évaluent soigneusement les patients pour le trouble bipolaire, en particulier ceux qui présentent une dépression.
Comment identifier les patients atteints de trouble bipolaireLes patients atteints de trouble bipolaire, en particulier ceux qui sont actuellement déprimés, se présentent aux professionnels de la santé mentale et aux prestataires de soins primaires avec une variété de tableaux cliniques. Par conséquent, le diagnostic de la maladie peut facilement passer inaperçu. La reconnaissance peut être considérablement améliorée en recherchant un trouble bipolaire et en posant quelques questions bien ciblées.
Chez les patients souffrant de dépression, il est très important que le clinicien demande s’il y a eu des antécédents de manie ou d’hypomanie (tableau 3). Il est également utile de demander aux patients s’ils ont eu des sautes d’humeur ou des épisodes de » défonce » qui se caractérisent par une énergie accrue, un besoin de sommeil réduit et une humeur altérée. Il est instructif de s’enquérir des antécédents familiaux de trouble bipolaire. Bien que les patients ne sachent pas nécessairement si un parent souffre de trouble bipolaire, ils peuvent avoir entendu l’expression « maladie maniaco-dépressive » ou connaître un parent qui a été admis dans un hôpital psychiatrique. Des antécédents de suicide ou de toxicomanie sont également évocateurs d’une maladie bipolaire.
Il est utile d’inclure les membres de la famille ou les personnes significatives dans le processus d’évaluation car les patients atteints de trouble bipolaire manquent souvent de perspicacité, en particulier de mémoire des périodes « hautes ». Les rapports de ces sources collatérales peuvent être inestimables.
Enfin, l’administration d’un instrument de dépistage peut être très utile pour identifier les patients susceptibles d’avoir un trouble bipolaire. L’instrument de dépistage du trouble bipolaire le plus largement utilisé est le Questionnaire sur les troubles de l’humeur (MDQ).16
Le Questionnaire sur les troubles de l’humeurLe MDQ est un inventaire autodéclaratif d’une seule page, sur papier et crayon, qui peut être rapidement et facilement noté par un médecin, une infirmière ou tout assistant du personnel médical formé. Le MDQ permet de dépister les antécédents de syndrome maniaque ou hypomaniaque au cours de la vie en répondant par oui ou par non à 13 questions tirées des critères du DSM-IV et de l’expérience clinique (tableau 4).16 Une question supplémentaire demande si plusieurs des symptômes ou comportements maniaques ou hypomaniaques signalés ont été ressentis simultanément. Enfin, le niveau de déficience fonctionnelle résultant de ces symptômes est également évalué.
Un dépistage positif du trouble bipolaire consiste à répondre positivement à au moins 7 des questions par oui ou par non, à obtenir un score « modéré » ou « grave » pour la déficience et « oui » pour la cooccurrence des symptômes. Le MDQ a été utilisé dans plusieurs études et s’est avéré être un excellent outil pour identifier les patients susceptibles de souffrir d’un trouble bipolaire.11,17-23
Le MDQ en clinique
Le MDQ a été testé en tant que dépistage du trouble bipolaire dans la communauté générale et envoyé à 100 000 ménages américains démographiquement représentatifs.23 Un envoi supplémentaire a été envoyé à 27 800 personnes qui ont été sélectionnées pour améliorer la représentativité des échantillons combinés pour l’appariement des adultes âgés de 18 ans ou plus. Près de 72% (71 836) des questionnaires ont été retournés dans les 6 semaines, et 64,7% (17 973) des questionnaires individuels ont été retournés dans les 5 semaines. L’ensemble de données final analysé comprenait 85 358 (66,8%) retours utilisables. La prévalence du trouble bipolaire telle que mesurée par le MDQ était de 3,7 %.23
Dépistage du trouble bipolaire chez les adolescents Une version du MDQ a récemment été développée pour améliorer l’identification du trouble bipolaire chez les adolescents (Tableau 5).Le MDQ-Adolescent Version (MDQ-A) permet de dépister le trouble bipolaire chez les adolescents (âgés de 12 à 17 ans).24 Le MDQ-A comporte les mêmes 13 questions à répondre par oui ou par non et des questions sur l’altération psychosociale (par exemple, problèmes scolaires, sociaux, juridiques) et la cooccurrence. La différence est qu’il est rempli par le parent, et non par l’adolescent. La participation d’un parent a donné d’excellents résultats – une sensibilité de 72 % et une spécificité de 81 %. L’utilité de l’instrument a fortement diminué lorsqu’il a été rempli par les adolescents eux-mêmes, ce qui reflète peut-être le manque d’intuition si caractéristique de la maladie.
Un dépistage positif ne signifie pas que le patient est effectivement atteint de trouble bipolaire. Un examen approfondi, évaluant l’état médical général, l’évaluation psychiatrique complète et la consommation de médicaments et d’autres substances, est nécessaire.
Conclusion
Adresser toute correspondance à : Robert M. A. Hirschfeld, MD, Département de psychiatrie et des sciences du comportement, University of Texas Medical Branch, 1.302 Rebecca Sealy, 301 University Blvd, Galveston, TX 77555-0188. Courriel : [email protected].
Divulgation : Le Dr Hirschfeld est consultant ou fait partie du conseil consultatif des sociétés suivantes : Abbott Laboratories, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly and Company, Forest Laboratories, GlaxoSmithKline, Janssen Pharmaceutica, Novartis, Organon, Inc, Pfizer, Inc, Shire, UCB Pharma, et Wyeth-Ayerst.1. Hirschfeld RMA, Vornik LA. Reconnaissance et diagnostic du trouble bipolaire. J Clin Psychiatry. 2004;65(suppl 15):5-9.
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