Par Jeffrey Newman, Département des langues et cultures du Proche-Orient, Université de Californie, Los Angeles.
Date : Ancien Empire, quatrième dynastie, règne de Khafre (vers 2575- 2465 avant notre ère)
Provenance : Complexe de la pyramide de Gizeh de Khafre
Matériau : Gneiss anorthosite
Situation actuelle : Musée égyptien, Le Caire, Egypte. INV.No.JE 10062= CG14
Cette statue, souvent appelée « Khafre trônant », est l’une des sculptures les plus importantes et les plus emblématiques qui subsistent de l’Égypte ancienne. Elle représente le pharaon Khafre de la quatrième dynastie (vers 2500 avant J.-C.), légèrement plus grand que nature, assis sur un trône à pattes de lion. Les côtés du trône sont décorés du hiéroglyphe sema-tawy, censé représenter le devoir du roi de « lier » littéralement les parties constitutives de l’Égypte sous une seule autorité. Le pharaon est assis sur ce trône, exprimant à la fois un sentiment de détermination et de sérénité ; il regarde au-dessus et au-delà du spectateur tout en faisant un geste similaire avec un poing serré et une main ouverte. Sur sa tête, le pharaon est représenté avec deux types de protection divine. Il porte la coiffe némès avec un uræus, ou cobra, représentant Wadjet, la déesse protectrice de la Basse-Égypte. Un faucon étend ses ailes pour embrasser l’arrière de la coiffe du roi, emblématique du dieu Horus, une autre divinité protectrice souvent directement associée au roi vivant, dont le culte était centré en Haute-Égypte.
La statue est faite de gneiss anorthosite, une pierre verte particulièrement dure avec des ondulations distinctives d’inclusions blanches qui la rendaient techniquement difficile à sculpter. Cette pierre ne se trouve que dans des zones reculées du désert du Sahara, en Nubie, à l’ouest de la deuxième cataracte du Nil. À la fin de l’Ancien Empire, nous savons que les Égyptiens désignaient cette région par les termes Wawat, Irtjet et Setju, mentionnant même un souverain qui a réuni ces terres. Il a été transporté sur quelque 1200 km jusqu’à son emplacement final, dans le temple de la vallée du complexe pyramidal de Khafre à Gizeh. Ainsi, le matériau lui-même était recherché par Khafre pour projeter une aura de portée économique, d’accès aux matériaux de luxe et, finalement, de pouvoir sur les voisins de l’Égypte. La pierre verte chatoyante évoquait sans aucun doute un espoir de rajeunissement dans l’au-delà, une association de couleurs qui a des racines profondes dans le passé prédynastique. En 1860 de notre ère, Auguste Mariette, le premier directeur du Service des antiquités égyptiennes, a trouvé la statue enterrée dans une fosse creusée sous le sol du temple de la vallée de Khafre. La statue a été enregistrée comme le 14ème objet du Catalogue Général du Musée du Caire (CG 14). Bien que les circonstances exactes de son dépôt soient inconnues, les fouilles ultérieures du temple suggèrent qu’elle était à l’origine l’une des 23 statues assises du pharaon, estimées à partir des nombreux fragments de statues similaires trouvés dans le temple. Les bases de certaines de ces statues existent encore aujourd’hui dans le temple de la Vallée. Dans l’ensemble, le complexe pyramidal de Khafre à Gizeh contenait plus de 300 statues du roi, bien plus d’exemples que n’importe quel autre pharaon de l’Ancien Empire. Des exemples comme « Khafre trônant » montrent que le règne de ce pharaon a marqué un pic non seulement dans la capacité de fabrication, mais aussi dans les prouesses techniques, mêlant idéalisme et naturalisme dans une variété de pierres, le gneiss extrêmement dur de cet exemple, mais aussi le quartzite, le calcaire et le greywacke. La statuaire de Khafre a continué à influencer les images royales pour le reste de l’Ancien Empire et au-delà.
Pour autant que nous puissions le dire, cette statue était quelque peu unique même parmi ses homologues, notamment en ce qui concerne sa représentation du lien entre le pharaon et le divin. Pour mieux comprendre cette question, il est important de considérer la statue dans son contexte original. Elle était placée contre un mur du temple de la Vallée, séparée de la voie d’accès principale par de grands piliers en granit rouge. Le spectateur devait d’abord rencontrer la statue sous un angle, offrant une vue de profil et exposant le dieu Horus au milieu de son étreinte de la tête du pharaon. Cependant, lorsque le spectateur s’approche de la statue de face, Horus est complètement caché derrière la coiffe de némès du pharaon, en raison de l’angle légèrement relevé de sa tête. Cette illusion d’optique est une expression intentionnelle de la nature du pharaon : entouré et protégé par les dieux, mais dans une certaine mesure, un dieu lui-même. Les lignes floues entre ces deux catégories sont censées ne faire qu’un dans la personne du pharaon lorsque le spectateur déambule autour de la statue.
Une autre expression similaire peut être trouvée en regardant non seulement la tête de la statue, mais la statue dans son ensemble. Le pharaon est assis au-dessus de l’union de la Haute et de la Basse Égypte, sur un trône soutenu par les pattes d’un lion, tous servant de fortes métaphores pour le monde naturel sur lequel il maintient son pouvoir. Au-dessus de lui se trouvent l’uræus sur son front et Horus-faucon, symboles assez clairs de l’association divine. Entre tous ces éléments se trouve le pharaon, autre expression de son accès unique à ces deux sphères du pouvoir social. Dans le cas de Khafre, lui et ses sculpteurs ont réussi à exprimer leur vision de la royauté visuellement, et à bien des égards plus succinctement que ce qui pourrait être fait avec des mots seuls.
Qui était le destinataire de ce message ? Peut-être n’était-il destiné à personne, simplement destiné à reconstituer la vision de la royauté de Khafre au sein de son culte pour l’éternité. Une autre option est qu’il était destiné à imprimer cette vision de la royauté sur la prêtrise et les membres de l’élite qui participaient au culte mortuaire du pharaon. Une dernière considération concerne la nature même du temple de la Vallée. Le terme « vallée » fait référence à son emplacement au bord de la plaine inondable, et non pas isolé au sommet du plateau de Gizeh comme le reste du complexe pyramidal. Cet emplacement suggère au moins un plus haut degré d’accès aux adorateurs du culte du pharaon.
Modèle gracieusement offert par David Anderson, Département d’archéologie et d’anthropologie, Université du Wisconsin-La Crosse (www.sketchfab.com/danderson4 et www.uwlax.edu/archaeology).