Le développement des nouveaux anticoagulants (NOACs) a fourni une excellente alternative à l’utilisation encombrante de la warfarine. Il y a maintenant beaucoup de choix avec différents schémas posologiques ainsi que des modes de métabolisme et d’excrétion à choisir. Il est donc encore plus important de savoir quels médicaments et quelles interventions peuvent être utilisés dans une situation de crise hémorragique. Cet article passe en revue les NOACs disponibles et discute des méthodes qui peuvent être utilisées pour inverser leurs effets.

La présence d’une fibrillation auriculaire (AFib) multiplie par cinq le risque d’accident vasculaire cérébral ischémique. On pense que l’appendice auriculaire gauche est à l’origine de la plupart de ces caillots. Les anticoagulants oraux sont très efficaces et raisonnablement sûrs pour réduire le risque d’AVC.

Le score CHA2DS2-VASc est utilisé pour stratifier le risque d’AVC chez les personnes présentant une AFib persistante ou paroxystique (Figure 1). Les lignes directrices 2014 de l’AHA/ACC/HRS pour la prise en charge des patients atteints de fibrillation auriculaire1 recommandaient l’utilisation de la warfarine, du dabigatran, du rivaroxaban et de l’apixaban en classe I pour la prévention des thromboembolies chez les patients atteints d’AFib chez ceux présentant des scores CHA2DS2-VASc spécifiques. (Une mise à jour de ces recommandations est attendue prochainement, et abordera probablement l’utilisation de l’edoxaban). Une liste partielle des recommandations de classe 1 comprend :

  • Le score CHA2DS2-VASc est recommandé pour évaluer le risque d’AVC.
  • La warfarine est recommandée en présence de valves cardiaques mécaniques. L’intensité de l’INR cible doit être basée sur le type et l’emplacement de la prothèse.
  • En cas d’AVC antérieur, d’AIT ou de score CHA2DS2-VASc ≥2, les anticoagulants oraux sont recommandés. Les options comprennent : warfarine, dabigatran, rivaroxaban ou apixaban.
  • Avec la warfarine, déterminer l’INR au moins une fois par semaine pendant l’initiation et une fois par mois lorsqu’il est stable.
  • Inhibiteur direct de la thrombine ou du facteur Xa recommandé, si l’on ne peut pas maintenir un INR thérapeutique.
  • Evaluation de la fonction rénale avant l’initiation des inhibiteurs directs de la thrombine ou du facteur Xa, et réévaluation lorsque cela est cliniquement indiqué et au moins une fois par an.1

Les NOAC abordent la cascade de la coagulation pour exercer leurs effets dans une direction totalement différente de celle de la warfarine. Alors que la warfarine agit sur les facteurs II, IX et X, le dabigatran agit sur le facteur IIa, et le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban agissent sur le facteur Xa (figure 2). Ainsi, si la vitamine K peut inverser les effets de la warfarine dans une situation d’urgence, elle est pratiquement inutile pour inverser les agents plus récents.

L’approche pour inverser les agents plus récents en cas d’urgence est basée sur la compréhension de leur pharmacocinétique et de leur pharmacodynamique. Des agents réversibles spécifiques ont finalement été développés pour ces médicaments, mais leur disponibilité peut être limitée. Une brève revue des NOACs suit, ainsi qu’une revue des agents de renversement et des interventions.

Dabigatran

Le dabigatran etexilate (Pradaxa, Boehringer Ingelheim), 75-150 mg deux fois par jour, est un inhibiteur direct de la thrombine affectant le facteur IIa de la cascade de coagulation. La concentration maximale du médicament est atteinte en 1 à 3 heures environ.2 Le médicament n’est pas métabolisé par le système du cytochrome P450. La demi-vie du médicament est de 12 à 17 heures, et il est excrété à 80 % par voie rénale. Par conséquent, le médicament peut s’accumuler dans le cadre d’une fonction rénale anormale.

Le traitement médicamenteux par le dabigatran ne nécessite pas de surveillance régulière. L’INR est insensible au dabigatran. Le niveau d’anticoagulation peut être évalué par le temps de thromboplastine partielle activée (TCA). Le dabigatran prolonge le TCA à des doses thérapeutiques. Il est également important de vérifier l’heure de la dernière dose par rapport à l’heure de la prise de sang. Le TCA médian pour une dose de 150 mg de dabigatran était de 52 (40-76) secondes dans l’essai RE-LY. Le temps de thrombine (TT) est très sensible aux taux de dabigatran. Un TT normal exclut les niveaux de dabigatran qui sont pertinents. Cependant, un TT prolongé ne permet pas de distinguer les concentrations importantes des concentrations insignifiantes. Le temps de coagulation de l’écarine (TCE) peut également évaluer le niveau d’anticoagulation et constitue en fait une mesure plus spécifique de l’effet que le TCA. Le test chromogène à l’écarine est également étroitement corrélé à l’activité du dabigatran. Chez les personnes ayant une fonction rénale normale, les niveaux de concentration plasmatique diminuent relativement rapidement après l’arrêt du médicament.2-3

Inhibiteurs du Xa

L’inhibition du Xa empêche la génération de prothrombine à partir de la thrombine et inhibe la génération de thrombine induite par le facteur tissulaire4. Le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban sont les médicaments qui inhibent le facteur Xa.

Rivaroxaban

Rivaroxaban (Xarelto, Janssen, une société Johnson & Johnson) a été approuvé pour une utilisation chez les patients atteints de fibrillation auriculaire non valvulaire. La FDA américaine exige que les patients qui reçoivent ce médicament reçoivent un guide de médication décrivant les risques associés et les effets indésirables. Le rivaroxaban doit être pris une fois par jour avec le repas du soir pour assurer une absorption complète.

Le rivaroxaban est biodisponible à 80%. Les concentrations plasmatiques maximales sont atteintes après 2 à 4 heures, et le rivaroxaban a une demi-vie plasmatique de 5 à 9 heures chez les patients en bonne santé et de 11 à 13 heures chez les personnes âgées. Les deux tiers du médicament sont métabolisés par les reins, et l’autre tiers est excrété par les fèces. L’utilisation concomitante avec la P-gp et les inhibiteurs et inducteurs puissants du CYP3A doit être évitée. Le médicament est déconseillé aux personnes qui reçoivent du kétoconazole, du lopinavir/ritonavir, du ritonavir, de l’indinavir/ritonavir, du conivaptan, des inhibiteurs de la protéase du VIH, de la rifampine, de l’itraconazole, du voriconazole ou du posaconazole. De même, l’utilisation doit être évitée en cas d’insuffisance hépatique modérée et sévère ou de toute maladie hépatique associée à une coagulopathie.5

Apixaban

L’apixaban (Eliquis, Bristol-Myers Squibb et Pfizer) a un début d’action rapide et une biodisponibilité orale élevée. La demi-vie est de ~12 heures. Les aliments n’affectent pas l’absorption et le médicament n’est pas altéré par les changements de pH. L’élimination est à 25 % rénale et à 75 % non rénale6-7, ce qui suggère qu’il serait un médicament Xa privilégié en présence d’une insuffisance rénale. L’apixaban ne doit pas être pris en association avec des inhibiteurs du CYP3A4 (antifongiques azolés, antibiotiques macrolides, inhibiteurs de protéase) ; ces agents augmentent les taux d’apixaban.8

Edoxaban

L’edoxaban (Savaysa, Daiichi Sankyo) est le plus récent ajout aux inhibiteurs du Xa. Il est administré une fois par jour, ce qui facilite l’observance. La concentration maximale est atteinte en 1 à 2 heures et la demi-vie est de 10 à 14 heures. L’élimination du médicament se fait à environ 50% par excrétion rénale et 50% par excrétion intestinale biliaire.9

Surveillance de l’activité anticoagulante

La surveillance de l’activité anticoagulante des agents Xa est mieux réalisée avec le dosage chromogène anti-Xa. L’étalonnage avec le médicament d’intérêt devrait présenter une bonne corrélation avec les taux de médicament mesurés par chromatographie liquide-spectrométrie de masse en tandem. En l’absence de ce test, le temps de prothrombine (TP) peut être utilisé pour évaluer l’edoxaban et le rivaroxaban. Des niveaux élevés ou prolongés du TP peuvent être présents dans le cadre d’un traitement et au-dessus du traitement de ces médicaments. Un TP normal n’exclut pas un niveau thérapeutique.10 Pour l’apixaban, le TP et le TCA ne sont pas très utiles. Un TP prolongé est trouvé avec des niveaux thérapeutiques ou au-dessus des niveaux thérapeutiques, et un TP normal n’exclut ni l’un ni l’autre.

Interventions et agents de renversement

En 2017, la voie décisionnelle de consensus d’experts de l’ACC sur la gestion des saignements chez les patients sous anticoagulants oraux a été publiée.10 Ce groupe a examiné les preuves scientifiques et les opinions d’experts, et a élaboré une voie décisionnelle pour la gestion des saignements. Les éléments pris en compte dans le cheminement décisionnel comprenaient la gravité de l’hémorragie, la prise en charge médicale et chirurgicale aiguë, la nécessité d’une inversion, la pertinence et le moment de la reprise de l’anticoagulation, ainsi que l’impact des comorbidités pertinentes et des traitements médicamenteux concomitants10.

Les saignements majeurs ont été définis comme ceux qui sont survenus avec un compromis hémodynamique, situés dans un endroit critique (intracrânien), ayant nécessité une transfusion de ≥2 U de globules rouges (GR) emballés, ou associés à une diminution ≥2 g/dL de l’hémoglobine10. Les hémorragies non majeures sont celles qui n’ont pas été classées comme majeures, bien que certaines aient nécessité une intervention ou une hospitalisation.

Pour les patients présentant une hémorragie majeure et traités par dabigatran, les mesures suivantes doivent être prises : arrêter le médicament, instituer une compression mécanique, une hémostase chirurgicale si nécessaire, une transfusion de GR ou de TP (en cas d’utilisation concomitante d’antiplaquettaires) et administrer 5 g d’idarucizumab (Praxbind, Boehringer Ingelheim) par voie IV. Si le médicament n’est pas disponible, administrer un concentré de complexe prothrombique à quatre facteurs (4F-PCC) ou un concentré de complexe prothrombique activé (aPCC) 50 unités/kg IV. Le charbon activé doit également être envisagé si la dernière ingestion a eu lieu entre 2 et 4 heures. L’hémodialyse peut être recommandée si le taux de médicament est élevé, surtout en cas d’altération de la fonction rénale. Il convient de noter que l’idarucizumab n’est pas toujours disponible dans toutes les pharmacies hospitalières.10

Pour les personnes présentant une hémorragie majeure et prenant un inhibiteur de Xa (rivaroxaban, apixaban), il faut procéder comme suit : arrêter le médicament, instituer une compression mécanique, une hémostase chirurgicale, une transfusion de GR ou de TP (en cas d’utilisation concomitante d’antiplaquettaires) et administrer de l’andexanet alfa (AndexXa, Portola Pharmaceuticals) en bolus et en perfusion. Si l’andexanet alfa n’est pas disponible, administrer le 4F-PCC ou l’aPCC 50 unités/kg par voie IV. Le charbon actif doit également être envisagé si la dernière ingestion a eu lieu entre 2 et 4 heures. L’utilisation de l’andexanet alfa pour l’edoxaban serait hors AMM pour le moment.10

L’idarucizumab est un fragment d’anticorps monoclonal humanisé. Les concentrations plasmatiques maximales sont atteintes à la fin d’une perfusion de 5 minutes. La demi-vie du médicament est de 47 minutes. Il agit en se liant au dabigatran. L’agent est excrété par les reins.2

Andexanet alfa a été approuvé par la FDA en 2018. Il s’agit du premier antidote aux inhibiteurs du facteur Xa. Il a permis d’obtenir une hémostase efficace 12 heures après la perfusion chez 79 % des patients présentant un saignement aigu grave (généralement GI ou intracrânien). Il est approuvé pour une utilisation avec le rivaroxaban et l’apixaban, mais pas encore pour l’edoxaban.

Dans les études avec des volontaires sains, les seuls effets indésirables ont été des réactions à la perfusion. Aucun anticorps au facteur X ne s’est développé chez les volontaires sains et aucun anticorps neutralisant contre l’andexanet alfa n’a été détecté.

L’andexanet alfa se présente sous la forme d’un carton contenant quatre flacons à usage unique de 100 mg. La posologie est basée sur l’agent du facteur Xa qui a été pris, le dosage et le temps écoulé depuis la dernière dose. L’approvisionnement est limité jusqu’au début de 2019. En juillet 2018, le médicament était disponible dans 10 établissements aux États-Unis. Un bolus est administré, suivi d’une perfusion de 2 heures. Le médicament a une demi-vie de 5 à 7 heures, et un certain effet anticoagulant revient 1 à 3 heures après l’arrêt de la perfusion, ce qui peut nécessiter une perfusion plus longue.11

Ciraparantag (PER977) est en cours de développement pour être utilisé avec tous les NOAC plus l’héparine non fractionnée (HNF), l’héparine de faible poids moléculaire (HBPM) et le fondaparinux (un médicament contre le facteur Xa). Il s’agit d’une petite molécule synthétique soluble dans l’eau.10

Doit-on reprendre le NOAC ?

La décision de reprendre l’anticoagulant doit être basée sur la zone où le saignement s’est produit, le risque de nouveau saignement, si une intervention chirurgicale est prévue, et la justification initiale de la mise sous anticoagulant du patient. Les patients présentant un risque plus élevé si le médicament n’est pas repris seraient ceux qui ont une prothèse valvulaire mécanique, une fibrillation auriculaire, une TEV, une thromboembolie antérieure, un thrombus ventriculaire gauche ou auriculaire, ou ceux qui ont un DAVG.10

Les NOAC se sont avérés être un excellent ajout à l’arsenal thérapeutique pour les patients à risque de formation de caillots. La capacité d’arrêter une situation de saignement indésirable chez les patients sous ces médicaments permet de boucler le cercle des soins sûrs et efficaces. Le développement des nouveaux antidotes médicamenteux, ainsi qu’une analyse minutieuse et des interventions de soutien, en font une réalité.

Divulgation : L’auteur n’a aucun conflit d’intérêts à signaler concernant le contenu du présent document.

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