Vie

Porphyre est né à Tyr en Phénicie (aujourd’hui au Liban), probablement en234 de l’ère chrétienne.Son nom était  » Malcus « ,  » roi  » dans sa langue natale, d’où il devient  » Basileus « ( » roi « ) en grec. Cependant, il se fait appeler Porphyre, qui aurait été un nom commun à Tyr, la ville de la pourpre, et qui est généralement connu sous ce nom. On sait peu de choses avec certitude sur sa vie, sauf ce que l’on peut glaner dans son propre récit de la vie de Plotin, La Vie de Plotin. Il existe un récit de sa vie dans les Vies des philosophes et des sophistes d’Eunapius, mais ce récit dépend clairement de la Vie de Plotin et n’a pas grand-chose de fiable à ajouter. Avant de venir étudier avec Plotin à Rome en 263 après J.-C., il avait étudié avec le platonicien moyen Longinus à Athènes. Il resta à Rome pendant environ cinq ans et se convertit à la version du platonisme de Plotin. Sur les conseils de Plotin, il quitte Rome pour la Sicile afin de se remettre d’une dépression en 268 de l’ère chrétienne. Il a dû y rester un certain temps, même après la mort de Plotin en 270 de l’ère chrétienne. En réalité, nous ne savons rien avec certitude de l’endroit où il a vécu dans la seconde moitié de sa vie. Il se peut qu’il ait été le professeur de Iamblichus. Les preuves de cette hypothèse ne sont cependant pas incontestables. Vers la fin de sa vie (301 de l’ère chrétienne), Porphyre a édité les écrits de Plotin, les Ennéades, les divisant en six livres de neuf traités chacun, qu’il a fait précéder de sa Vie de Plotin. Cette dernière est la source la plus fiable et la plus informative sur sa vie et ses attitudes. Il a épousé assez tardivement une femme plus âgée, pour laquelle un de ses écrits existants, laLettre à Marcella, est écrit.

Ouvrages et profil

Porphyre était un auteur prolifique qui a écrit sur toute une gamme de sujets. Une soixantaine d’œuvres lui sont attribuées, mais la plupart sont aujourd’hui perdues ou ne subsistent que sous forme de fragments. Les œuvres existantes (mais pas toutes complètes) sont les suivantes : Vie de Plotin, Vie de Pythagore, Lettre à Marcella, De l’abstinence de manger des aliments d’origine animale, Points de départ menant aux intelligibles (généralement appelés Sententiae ; En latin, l’œuvre est appeléeSententiae ad intelligibilia ducentes), l’Isagoge(Introduction), Sur la grotte des Nymphes,Introduction à l’opus quadripartitum de Ptolémée (voirBezza 2012) et il y a des commentaires sur lesHarmoniques de Ptolémée et les Catégories d’Aristote. Une autre œuvre attribuée à Galien, To Gaurus, est presque certainement de lui. Il existe des fragments d’une histoire de la philosophie et des fragments d’un certain nombre d’ouvrages de psychologie. L’un de ces ouvrages, le Symmikta zetemata, a été partiellement reconstitué par Heinrich Dörrie (1959). Pierre Hadot (1968 et plusieurs articles) a soutenu que Porphyre est l’auteur de fragments anonymes d’un commentaire sur le Parménide de Platon. Cette attribution a été largement acceptée mais aussi vigoureusement contestée (voir ci-dessous). Il a également écrit des commentaires sur le Timée de Platon et plusieurs œuvres d’Aristote. Il a également écrit des commentaires sur le Timée de Platon et sur plusieurs œuvres d’Aristote, dont les fragments sont donnés dans Smith 1993, qui contient les fragments et les témoignages existants de Porphyre. Contre les Chrétiens est peut-être le titre le plus connu de Porphyre. Dans son étude monumentale, La vie de Porphyre (1913), Bidezportait le jeune Porphyre comme une personne encline à la religion et à la superstition. Il est censé être devenu un penseur plus rationnel lors de son séjour chez Plotin, mais il est ensuite retombé dans une certaine mesure dans son mode de pensée antérieur. Des recherches ultérieures ont montré que cette vision de l’évolution de Porphyre n’était pas clairement étayée. Il se peut que, tout au long de sa vie, il ait utilisé des styles différents, visant peut-être des publics différents, tout en conservant d’une manière ou d’une autre à la fois sa propension à la religion et à la superstition et ses tendances rationnelles.

Il est clair que Porphyre était un homme très érudit. On le présente parfois comme un promulgateur très important de la branche antique tardive du platonisme (généralement appelée « néoplatonisme ») plutôt que comme un philosophe original. La première affirmation est certainement vraie : il a appliqué les doctrines néoplatoniciennes à la religion et aux mythes païens traditionnels et a été à bien des égards un penseur plus extraverti, intéressé par l’application de la philosophie platonicienne à divers domaines, que son maître Plotin. Le jugement selon lequel il n’était pas original peut cependant être trop hâtif, car l’échantillon de ses écrits qui nous reste est très petit et, parmi ceux-ci, ses œuvres plus théoriques sont clairement sous-représentées. Ce que nous avons et savons être de lui, cependant, n’indique pas d’innovations théoriques drastiques, sauf dans la sphère de la philosophie de la logique et du langage. Si l’on en juge par les témoignages des platoniciens antiques ultérieurs, Porphyre était un philosophe indépendant dont les opinions étaient prises très au sérieux. Les platoniciens de l’Antiquité tardive, cependant, le mentionnent souvent dans le couple « Plotin et Porphyre ». Ainsi, comme il devrait être clair d’après ce qui a déjà été dit, l’érudition porphyrienne, lorsqu’elle est faite sobrement, est remplie de lacunes : nous savons rarement quand il a écrit quoi, et nous ne savons pas avec certitude quelles étaient ses doctrines philosophiques. Ce qui existe suggère une affinité doctrinale étroite avec Plotin, à l’exception du fragment du commentaire de Parménide dont la paternité et la relation avec Porphyre sont contestées. À cela, nous pouvons ajouter la prise de Porphyre sur les Catégories d’Aristote avec des conséquences pour son point de vue sur la structure du domaine sensible.Ainsi, nous sommes confrontés à un personnage que nous savons avoir été respecté dans l’Antiquité tardive, qui a été influent bien au-delà, mais nous ne savons pas avec certitude ce qu’il représentait philosophiquement ou ce qui était original avec lui dans les domaines centraux de la philosophie.

Vues philosophiques

Il semble sûr de supposer qu’avant sa rencontre avec Plotin,les vues philosophiques de Porphyre étaient façonnées par Longinus, Numénius et d’autres platoniciens du milieu, en plus de Platon, Aristote et d’autres classiques de la philosophie grecque. Après l’avoir rencontré, il est devenu un adepte de Plotin, même si une partie de ses origines moyennement platoniciennes transparaît également dans sa phase postplotinienne. Cette image est fortement suggérée à la fois par sa Vie de Plotin et lesSententiae, le seul ouvrage existant dans lequel il expose ses vues philosophiques de base et qui lui est avec certitude attribuable.

Pour Plotin et Porphyre, il y a un écart catégorique entre deux royaumes, le sensible et l’intelligible. Ce dernier domaine contient trois « hypostases » (trois niveaux ontologiques différents), l’Un, l’Intellect et l’Âme. L’Un est la cause première de tout le reste ; il est caractérisé par une unité pure qui le rend au-delà de la pensée et de la description par le langage. L’intellect est la sphère de l’être réel, identifié avec les formes platoniciennes, qui sont les pensées d’un intellect universel. L’âme, la plus basse des hypostases intelligibles, est l’élément intelligible directement responsable du domaine sensible. Le domaine sensible, qui est une image imparfaite de l’intelligible, est également constitué de niveaux : Il y a des organismes, dont le cosmos sensible est l’un d’entre eux, comprenant d’autres organismes de moindre importance. Les organismes sont des êtres doués d’une âme et comportent donc une composante intelligible. Au-dessous d’eux sur l’échelle se trouvent les formes dans la matière, les corps et la matière elle-même. Ceux-ci sont aussi des résultats de l’activité créatrice de l’âme mais ne sont pas des entités intelligibles.

La relation entre ces niveaux est en général décrite en termes de doctrine de double activité : chaque niveau supérieur a son activité interne caractéristique qui est accompagnée par une puissance ou une activité externe qui constitue le niveau inférieur. Ce discours sur les activités (pouvoirs) internes et externes est équivalent à ce que l’on appelle la relation entre paradigmes et imitations dans le platonisme traditionnel.

Les êtres humains ont, pour ainsi dire, une jambe dans chaque royaume : Par le corps et son âme non rationnelle (siège des désirs appétitifs et spirituels et de la perception des sens), ils appartiennent au domaine sensible,par leur âme supérieure (l’intellect) au domaine intelligible. En fait, l’être humain véritable s’identifie à l’intellect et à l’homme intelligible. Il s’ensuit que la tâche fixée aux êtres humains est de se libérer du sensible et de vivre par l’intelligible, qui est après tout leur vraie ou réelle nature.

C’est la philosophie de Plotin, que Porphyre partage, dans les grandes lignes (voir entrée sur Plotin). Il y a, cependant, quelques différences dans la terminologie, qui montrent quePorphyre a un certain penchant savant que Plotin évite, etPorphyre est en général plus intéressé à réconcilier Aristote avecPlatonisme que Plotin ne l’était. Cela se voit, par exemple, dans l’attitude plus positive de Porphyre envers la doctrine des Catégories d’Aristote. Dans ce qui suit, nous nous concentrons sur certains points où Porphyre diverge de Plotin ou a été pris pour diverger de lui, ou peut sembler développer sa pensée.

3.1 Religion

Dans la tradition platonicienne avant Porphyre, Plutarque et Plotin interprétaient déjà la mythologie grecque classique comme des légendes philosophiques (les stoïciens ont été les premiers à établir cette pratique).Porphyre, cependant, va beaucoup plus loin que ses prédécesseurs platoniciens et le fait plus systématiquement. Cela se révèle, par exemple, dans son attitude à l’égard d’Homère, dont il considère que les textes ont un sens caché, philosophique, derrière le sens littéral (voir La caverne des nymphes). Il a écrit un ouvrage intitulé La Philosophie des Oracles, dont il ne reste que quelques fragments (F343-F350). Nous n’avons qu’une vague idée de son contenu, mais on peut supposer qu’il présentait une sorte de synthèse des oracles et des cultes païens avec la philosophie platonicienne. Le néoplatonisme post-Iamblique (à partir de 330 après J.-C.) se caractérise par le fait que la religion, les rites religieux et même la magie (théurgie) sont considérés comme une alternative à la philosophie pour le salut de l’âme.Porphyre ne partageait pas ce point de vue et fut réprimandé pour son attitude sceptique à l’égard de la théurgie par Iamblique, probablement son ancien élève, dans la Réponse de ce dernier à Porphyre. La censure d’Iamblique ne se limitait pas à l’attitude de Porphyre envers la théurgie, mais concernait également des questions ontologiques fondamentales (voir l’article sur Iamblique 5.3.). Porphyre ne rejetait pas la magie en bloc, mais il semble avoir limité son efficacité à la sphère de la nature et ne pas l’avoir considérée comme un moyen d’établir un contact avec le monde intelligible, comme pouvait le faire la philosophie (voir Smith 2011b). Son interprétation et ses préoccupations en matière de religion ont cependant ouvert la voie aux développements entrepris par Iamblichus et à la tradition ultérieure du néoplatonisme païen. De façon quelque peu décevante, peut-être, les fragments deAgainst the Christians ne présentent pas de profonds désaccords métaphysiques ; ils concernent surtout des affirmations particulières, non philosophiques, faites dans la Bible et par les chrétiens quePorphyre trouve incroyables et répréhensibles.

3.2 Psychologie et éthique

En ce qui concerne ses vues sur l’âme, Porphyre semble pour l’essentiel suivre Plotin. Outre les Sententiae, OnAbstinence et To Gaurus, il existe un assez grand nombre de fragments d’autres œuvres portant sur ses vues psychologiques, conservés notamment chez Nemesius, Stobaeus et St Augustin.

L’âme est une entité intelligible mais, comme nous l’avons noté plus haut, c’est l’entitéintelligible qui est directement engagée avec le domaine sensible.Les entités intelligibles sont incorporelles et sans extension et ne sont pas présentes dans les corps comme dans le lieu. A la suite de Plotin, Porphyre distingue l’âme en soi, qui semble être identique à l’âme rationnelle, et une seconde puissance du rationnel, l’âme inférieure, qui est l’âme par rapport au corps et qui est seule directement engagée avec lui (Sent. 4). L’âme inférieure est responsable des fonctions de l’âme qui impliquent directement le corps, comme la perception des sens, les désirs, les émotions et les fonctions purement biologiques comme la croissance. Dans la tradition antérieure à Porphyre, cette distinction était parfois si nette que l’on supposait que chaque personne avait deux âmes distinctes. Porphyre, au contraire, insiste sur l’unité de l’âme humaine : les fonctions inférieures sont des pouvoirs qui dépendent de l’âme rationnelle (voir Deuse 1983 : 169-217). La distinction entre l’âme elle-même et ses pouvoirs (l’âme inférieure) est une instance de la distinction entre les actes internes et externes, mentionnée ci-dessus. Ainsi, l’âme elle-même a une activité intellectuelle qui a les secondes puissances ou l’âme inférieure comme acte externe.

Certains problèmes se posent pour expliquer comment quelque chose qui est en soi incorporel peut être présent dans un corps étendu, comme l’âme l’est apparemment. Porphyre résout ce problème en disant que l’âme n’est pas localement présente dans le corps mais qu’elle lui est présente par une certaine disposition ou inclination envers le corps (Sent.3 ; 4). Dans un passage conservé dans Némésius, De la nature de l’homme, il dit que lorsqu’une chose intelligible entre en relation avec un lieu ou avec une chose dans un lieu, c’est par un abus de langage que nous disons qu’elle est là. Parce que son activité est là, nous parlons du lieu alors que nous devrions parler de la relation à ce lieu et de l’activité. Quand on devrait dire « il agit là », on dit faussement « il est là » (Nem. 3, 112-114 ; cf. Sent. 28). L' »enquête » (zētema) de Porphyre sur la relation préservée par Némésius nous apprend en outre que la relation de l’âme incarnée au corps est un cas d' »union non fusionnée » (asynchytos henōsis) (3, 1-185 ; Dörrie 1959 : cap. 2). Cela implique une relation qui équivaut à une fusion dans laquelle les deux ingrédients conservent cependant leur identité et peuvent en principe être séparés. Dans ce cas, peut-être typique, Porphyre se sert des théories stoïciennes sur les mélanges, mais il en tire un récit qui ne s’écarte pas essentiellement de Plotin (voir Emilsson 1994 : 5357 et suivants). Dans son ouvrage Against Boethus (un philosophe péripatéticien du Ier siècle avant J.-C.), dont des fragments ont été conservés par Eusèbe, Porphyre affirme qu’il faut distinguer l’âme en tant que forme du corps, ce qui rend le corps vivant, et l’âme en tant qu’entité intellective et transcendante, ce qui est sa nature essentielle. Cette dernière est immortelle et Boèce commet l’erreur de confondre les deux (voir Karamanolis 2006 : 91-98 et Trabattoni2020).

Pour Porphyre, comme pour Plotin, ce qui importe le plus dans la vie est de libérer l’âme des calamités du corps et du monde sensible en général afin qu’elle devienne purement ce qu’elle est originellement et essentiellement, c’est-à-dire une partie du monde intelligible. La raison doit donc s’efforcer de s’élever au niveau de l’Intellect, qui se distingue par un degré d’unité bien supérieur à celui dont est capable le simple usage ordinaire de la raison. Il peut même être possible de s’élever au niveau de l’Un lui-même. Il semble toutefois y avoir une certaine différence entre l’accent mis par Porphyre et Plotin sur ce point. Alors que Plotin insiste sur les évasions épisodiques dans cette vie par le biais de la philosophie, Porphyre, tout en admettant cette possibilité, semble supposer que l’âme peut, après des réincarnations successives, se libérer définitivement du monde sensible. Il rejette cependant, du moins selon certains témoignages, l’incarnation des âmes humaines dans des corps animaux et interprète les passages platoniciens qui le suggèrent comme n’étant pas littéralement intentionnels (voir Smith 1984 et Deuse 1983 : 129-159).

Les chercheurs s’accordent aujourd’hui universellement pour dire que l’ouvrage, To Gaurus on HowEmbryos are Ensouled attribué à Galien dans les manuscrits, n’est pas de lui mais de Porphyre. Bien que l’on puisse soutenir qu’il s’agit d’une élaboration des vues de Plotin, Porphyre donne dans ToGaurus les détails d’un compte rendu très intéressant du développement de l’embryon et de ses relations avec les parents (voir en particulier Wilberding 2008). Porphyre explique notamment comment et pourquoi les enfants ressemblent à leurs deux parents : l’embryon se développe à partir de la semence du père, mais il n’a pas d’âme propre. Il est gouverné par l’âme végétative de la mère qui imprime une marque permanente sur l’embryon par un processus de mélange dans lequel la nature de l’embryon conserve son individualité. Le récit donné diverge de manière significative de ceux des penseurs précédents, permettant une influence beaucoup plus grande de la mère.

Porphyre est enregistré pour sa défense du végétarisme dans son OnAbstinence. Cet ouvrage est adressé à un ami (un associé du cercle de Plotinus à Rome) et ancien végétarien qui a repris la consommation de viande. D’une part, l’abstinence de Porphyre à l’égard des animaux est motivée par l’objectif, mentionné plus haut, de se libérer autant que possible du corps et du monde sensible. L’exhortation s’adresse à ceux qui se sont fixé un tel objectif. Porphyre accorde une certaine rationalité aux animaux et insiste en général sur ce qu’ils ont en commun avec nous, les humains. Il affirme qu’il est tout simplement injuste de faire du mal à ceux qui ne veulent pas nous faire de mal, et cela s’applique aux animaux. Son végétarisme est donc aussi une question de justice (Tuominen 2015). Les preuves suggèrent, cependant, qu’il ne tenait pas ce point de vue de manière cohérente : dans sa Philosophie des Oracles (voir Smith 1993), il accepte les sacrifices d’animaux et ne s’y oppose pas par principe dans sa Lettre à Anebo.

Dans Sententiae 32, Porphyre présente ses vues sur les vertus,qui, bien que constituant un développement du compte rendu de Plotin dans Ennead I. 2, sont intéressantes en soi. Il distingue quatre types de vertus : civique, purgative, contemplative et paradigmatique. Les quatre types de vertu sont ordonnés de façon hiérarchique, de sorte que la vertu paradigmatique englobe en quelque sorte tous les autres (les vertus paradigmatiques sont les formes platoniciennes, ou paradigmes, des différentes vertus). D’autre part, même si, par exemple, la vertu civique mène naturellement à la vertu purgative, une personne peut être vertueuse au niveau civique sans posséder les formes supérieures. Sur ces quatre niveaux, Porphyre pose les quatre vertus cardinales de la République de Platon (sagesse, courage, tempérance et justice). Les vertus civiques concernent les actions vertueuses de la vie ordinaire : sagesse, tempérance, justice et courage. Ces vertus cardinales sont définies différemment, bien que de manière analogue, dans le cas de chaque niveau. Ainsi, par exemple, la sagesse en tant que vertu purgative est définie comme le fait pour l’âme de « ne pas former d’opinions en accord avec le corps, mais d’agir par elle-même », tandis que la sagesse en tant que vertu contemplative consiste en la contemplation des essences inhérentes à l’Intellect. Ainsi, les vertus forment une hiérarchie où les inférieures peuvent être considérées comme une manifestation plus faible des supérieures. Cette théorie de la vertu est une tentative habile de réconcilier la République, le Phédon et le Théétète et d’intégrer leur enseignement sur la vertu dans une métaphysique platonicienne cohérente. Ce type de compte rendu des vertus a été accepté et développé par les néoplatoniciens ultérieurs.

Des différences intéressantes entre Porphyre et Plotin peuvent être détectées dans leurs points de vue respectifs sur les émotions et sur le bonheur. Alors que Plotin soutient que les émotions doivent être éradiquées et que le bonheur consiste en la vie de l’intellect seul, la vie parfaite (Ennéade I.4.3), Porphyre recommande la metriopatheia, « émotions modérées », et permet des degrés de bonheur : non seulement la personne intellectuellement vertueuse est heureuse, mais la personne civiquement vertueuse l’est aussi, même s’il s’agit d’une forme inférieure de bonheur (voir Karamanolis 2006 : 303-308). Ces différences reflètent l’effort de Porphyre pour mettre Platon et Aristote en harmonie.

3.3 La métaphysique des royaumes supérieurs

La hiérarchie des hypostases l’Un, l’Intellect et l’Âme a déjà été esquissée. Compte tenu des textes disponibles attribuables avec certitude à Porphyre, en particulier les Sententiae, il n’y aurait pas de raison de supposer que la métaphysique de Porphyre diffère significativement de celle de Plotin, bien qu’il ne suive pas toujours son vocabulaire. En outre, Porphyre a une conception différente et plus aristotélicienne des branches de la philosophie que Plotin, qui revendique la dialectique comme la méthode philosophique suprême (Hadot 1966 ; Strange 2007 ; cf. Plotin, Ennéade I. 3). Cette conception différente est montrée, par exemple, dans son arrangement des traités de Plotin qui suit un modèle d’éthique, de physique, de psychologie et d’ontologie.

Comme mentionné ci-dessus, Hadot (1968) a fait un cas pour identifier Porphyryas l’auteur du soi-disant commentaire anonyme sur leParménide de Platon. L’auteur de ce commentaire de l’Antiquité tardive, dont il ne reste que des fragments, utilise le Parménide pour présenter la vision ontologique de Platon. Le commentaire utilise une notion de l’Un comme premier principe ineffable qui, selon Hadot, le rend postplotinien. Cependant, dans le commentaire, la distinction entre la première et la seconde hypostase est quelque peu floue : l’ineffable Un est en quelque sorte en même temps le premier membre (« Père ») d’une triade d’être, de vie et d’intelligence et, dans ce contexte, identique à l’être. Poser un premier principe qui fait partie d’un tel composite est sûrement non Plotinien. Si l’identification de l’auteur par Hadot à Porphyre est correcte, Porphyre a en effet soutenu des vues métaphysiques qui diffèrent significativement de celles de Plotin. Cependant, même si l’hypothèse d’Hadot concernant l’auteur du commentaire, Porphyre, a été rapidement acceptée, elle a subi plusieurs coups de boutoir de la part des chercheurs, si bien qu’elle doit être considérée comme hautement discutable (voir, par exemple, Edwards 1990, Bechtle 1999, Corrigan 2000, Rasimus 2011). La découverte que la plupart des caractéristiques prétendument porphyriennes du commentaire de Parménide se trouvent dans des textes gnostiques préporphyriens (auxquels Hadot n’avait pas accès dans les années 1960) semble particulièrement troublante pour la thèse de Hadot (voir Rasimus 2011). Smith (1987, 2007), bien que ne voulant pas affirmer que Porphyre en est l’auteur, soutient qu’il provient de son cercle et, par conséquent, qu’il est définitivement post-plotinien.

3.4 Aristote, logique et épistémologie

Porphyre a été le premier platonicien à écrire des commentaires appropriés sur les travaux logiques d’Aristote et en fait sur Aristote en général (Karamanolis 2004) et d’après ce que l’on peut rassembler de ce qui est existant, il le fait sans assumer un point de vue platonicien fort. Il existe un de ses commentaires sur les Catégories d’Aristote et un autre plus long en sept livres, Ad Gedalium. Pendant des siècles, ce dernier ouvrage n’a été connu que par de courts fragments provenant de commentateurs ultérieurs, mais il a été prouvé qu’un palimpseste récemment découvert en contenait une partie substantielle (Chiaradonna et al. 2013). Il a également écrit des commentaires sur d’autres parties de l’Organon d’Aristote. Il a écrit l’Isagoge, qui est une introduction aux travaux logiques d’Aristote en général. Grâce à ces écrits logiques, Porphyre s’est imposé comme une figure importante de l’histoire de la logique. Il est l’instigateur de la tradition, suivie par les néoplatoniciens ultérieurs, de prendre les Catégories d’Aristote comme texte d’introduction de base et son Isagoge, en particulier, a servi de texte d’introduction standard à Byzance, dans le monde arabe et dans l’Occident latin grâce aux traductions et aux commentaires de Boèce. Ces textes ont servi de textes d’introduction abasiques en philosophie pendant au moins 1000 ans.

Les platoniciens avant Plotin différaient dans leur attitude enversAristote (voir Karamanolis 2006). Porphyre appartient à ceux qui croyaient que Platon et Aristote pouvaient être harmonisés et, en cela, il est suivi par presque tous les platoniciens antiques ultérieurs. Le titre conservé d’une de ses œuvres perdues, Sur les différences entre Platon et Aristote, peut sembler donner des indications contraires (il est également supposé avoir écrit une œuvre sur l’unité de leur pensée). Admettre certaines différences est compatible avec une attitude fondamentalement réconciliatrice (cf. Karamanolis 2006 : 243 et suivants). Cette attitude positive envers Aristote est particulièrement évidente dans sa position sur les Catégories d’Aristote. La question se pose de savoir comment une telle attitude peut être conciliée avec les passages d’Aristote qui semblent être en désaccord avec Platon, parfois de manière expresse. Nous ne savons pas comment Porphyre traitait les autres, en dehors des Catégories d’Aristote, qui apparaissent aux lecteurs modernes comme un ouvrage antiplatonicien à bien des égards. Ceci est particulièrement remarquable dans son affirmation selon laquelle les substances sensibles particulières sont antérieures aux espèces et aux genres universels. Porphyre résout ce dilemme en insistant sur le fait que les catégories dites aristotéliciennes – substance, qualité, quantité, etc. En d’autres termes, les Catégories ne sont pas un ouvrage d’ontologie primaire, mais plutôt un ouvrage sur les expressions utilisées pour signifier les choses sensibles qui nous entourent, et le sens dans lequel celles-ci sont premières ou primaires est qu’elles sont les premières que nous rencontrons dans notre expérience (58, 1 et suivants). La classe d’êtres signifiée par un terme universel de ce type est en effet antérieure au terme universel, par exemple, la classe des choses pâles au terme universel  » pâle « . Comme le note Strange (1987, 1992), cela n’affecte cependant pas l’ontologie de base. Ainsi, l’interprétation des catégories est inoffensive d’un point de vue platonicien : le palmier des formes intelligibles platoniciennes, qui sont des universaux d’un type différent de celui des expressions impliquées dans les catégories, peut être conservé intact. Les universaux dont s’occupent l’Isagoge et les commentaires de Porphyre sur les Catégories sont des universaux post-rémunérés, abstraits par l’esprit des objets extérieurs rencontrés par la perception sensorielle.

Le commentaire existant sur les Catégories ne mentionne qu’une relation sémantique double, celle entre les expressions signifiantes (mots) et les choses, alors que d’autres sources attribuent à Porphyre une relation triadique entre les mots, les concepts et les choses. C’est probablement la doctrine du commentaire perdu depuis longtemps. La raison de cette différence peut être que dans le commentaire court, il voulait garder les choses aussi simples que possible ou, comme Griffin (2012) l’a proposé, que les deux points de vue s’appuient sur des traditions différentes.

Il y a deux questions entrelacées débattues par les chercheurs concernant la philosophie de la logique de Porphyre : L’une concerne la compréhension par Porphyre de la relation entre les catégories aristotéliciennes en tant qu' »expressions signifiantes » et les choses auxquelles ces expressions se réfèrent, l’ontologie. Ses remarques dans l’Isagoge indiquant qu’il évitera les questionsontologiques difficiles (1, 9-16) ainsi que l’absence de points de vue typiquement platoniciens dans l’Isagoge et le commentaire étendu sur les Catégories ont conduit les chercheurs à supposer qu’il considérait la logique comme une discipline ontologiquement non engagée qui pouvait être librement adoptée par différentes écoles de différentes convictions (Ebbesen 1990 ; Barnes 2003). Il y a de fortes raisons de croire, cependant, que le logicien Porphyre ne peut pas être aussi facilement séparé du philosophe Porphyre. L’Isagoge et le commentaire étendu sur les Catégories sont conçus comme des ouvrages élémentaires, mais pas pour autant philosophiquement neutres, sans lien avec les vues substantielles de Porphyre sur la nature des choses. Que l’interprétation des Catégories par Porphyre comporte certains engagements ontologiques est évident du fait qu’il considérait les expressions signifiantes, les catégories, comme reflétant la structure du monde sensible (cf. In Categorias., 58, 21-29 ; Chiaradonna 2008). Il ne s’agit pas d’une hypothèse triviale. L’autre question concerne l’attitude de Porphyre à l’égard du compte rendu de Plotin sur les catégories aristotéliciennes dans l’Ennéade VI.1 et 3. Plotin comprend les catégories comme un travail d’ontologie plutôt que comme des expressions aboute et il adopte un point de vue critique à ce sujet. Le débat porte sur la question de savoir dans quelle mesure cela révèle un profond désaccord entre les deux penseurs, non seulement sur l’interprétation des Catégories d’Aristote, mais aussi sur la structure du monde sensible et sa relation avec les causes intelligibles. Chiaradonna (2002:48-54) soutient avec force, et selon cet auteur avec succès, qu’il y a une rupture avec Plotin sur cette question.Porphyre a accepté et adopté l’essentialisme aristotélicien sur les objets sensibles ainsi que la catégorisation d’Aristote et a cherché à harmoniser cette vision avec sa position platonicienne sur les causes intelligibles de ce domaine. Plotin ne partageait pas ce point de vue et la ligne de Porphyre l’a emporté à la fin de l’Antiquité. L’opinion contraire, selon laquelle il y a une continuation sans heurts entre Plotin etPorphyre sur les catégories aristotéliciennes, est défendue par Frans de Haas(2001).

En dépit des hypothèses ontologiques qui sous-tendent l’Isagoge et le commentaire moins important qui existe sur les Catégories, les avertissements mêmes de Porphyre, son évitement des questions profondes sur le statut ontologique des genres et des espèces – à savoir s’ils existent ou dépendent de la pensée ; et s’ils existent, s’ils sont corporels ou incorporels ; et dans ce dernier cas, s’ils sont des objets sensibles ou s’ils existent séparément de ceux-ci – ont sans doute contribué à la facilité avec laquelle ces ouvrages ont été intégrés aux lectures scolaires obligatoires pendant des siècles. Ainsi, ses formulations sans engagement ont contribué à faire de ces œuvres la partie la plus durable de son héritage en Occident.

Il a déjà été noté que Porphyre semble être engagé à l’aversion de l’abstractionnisme en ce qui concerne l’acquisition des êtres humains de la connaissance des sensibles. Son Commentaire sur les Harmoniques de Ptolémée contient une section sur l’épistémologie (11, 5-22, 7), dans laquelle le thème principal est la question des rôles respectifs de la perception des sens et de la raison (logos) dans l’acquisition de la connaissance. Au cours de cette discussion, il décrit un processus qui part de la perception des sens, passe par l’appréhension (antilepsis) et la supposition (doxastikehypolepsis) pour aboutir à la réception dans l’âme d’un concept (epinoia), qui est identique à la forme de l’objet ; d’où la connaissance (episteme) et enfin la compréhension (nous). Une grande partie de ce que Porphyre dit ici est compatible avec les doctrines platoniciennes moyennes et péripatéticiennes et avec Plotin (qui est plutôt ambigu sur les détails de ce processus) et en effet avec Aristote. En ce qui concerne l’intellect, cependant, le récit de Porphyre contient une référence indubitable à la Septième lettre de Platon, ce qui ne permet pas de conclure à son adhésion à un récit purement aristotélicien de l’acquisition de la connaissance des objets sensibles (voir Chase 2010). Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur ces aspects de la pensée de Porphyre.

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