Sources des différences de valeurs
Structure sociale et emphase des valeurs
BIBLIOGRAPHIE
Les quatre plus grandes démocraties anglophones -Australie, Canada, Grande-Bretagne et États-Unis- sont généralement considérées comme des sociétés très similaires, qui, pour les besoins de la science sociale comparative, peuvent être traitées comme différents exemples du même type. Elles varient bien sûr considérablement en termes de superficie, de taille de la population et de degré d’homogénéité ethnique, raciale et linguistique. Ils diffèrent également en ce qui concerne les institutions politiques formelles – monarchie par rapport à république, fédéralisme par rapport à pouvoir national unitaire, séparation des pouvoirs par rapport au contrôle parlementaire-cabinet. Ces différences, cependant, sont souvent considérées comme minimes, étant donné l’origine commune de nombreuses similitudes culturelles, une langue commune qui facilite l’interaction culturelle entre les nations, des niveaux de vie et de productivité économique extrêmement élevés, et des institutions politiques démocratiques stables, telles qu’une tradition de common law et un système politique bipartite dans lequel chaque parti est constitué d’une large coalition d’intérêts et dans lequel les différences idéologiques sont minimisées. Du point de vue comparatif des variations culturelles mondiales, il ne fait guère de doute que ces quatre nations représentent différentes versions régionales d’une même culture.
Toute comparaison de sociétés qui se ressemblent si fortement sur le plan économique et politique (c’est-à-dire des démocraties riches et stables) doit rechercher certaines distinctions conceptuelles pour éclairer les particularités des institutions dans des systèmes hautement comparables. Dans la tradition de la méthodologie des sciences sociales de Max Weber, cette discussion met l’accent sur les distinctions entre les valeurs sociales clés qui sont liées aux variations de certaines des institutions sociales que l’on trouve dans les sociétés anglo-américaines.
Une méthode particulièrement efficace pour classer systématiquement les valeurs centrales des systèmes sociaux est une modification de l’approche des variables de modèle développée à l’origine par Talcott Parsons (1951 ; 1960). Les variables de modèle sont des catégories dichotomiques de modes d’interaction, telles que réalisation-ascription, universalisme-particularisme, spécificité-diffusion, orientation vers soi-orientation vers la collectivité, et égalitarisme-élitisme. (Cette dernière n’est pas une des distinctions de Parsons, mais une distinction ajoutée ici.) Le système de valeurs d’une société peut donc orienter le comportement d’un individu de telle sorte qu’il (1) traite les autres en fonction de leurs capacités et de leurs performances ou en fonction de qualités héritées (réalisation-ascription) ; (2) applique une norme générale ou répond à une relation personnelle (universalisme-particularisme) ; (3) se rapporte à un aspect sélectif du comportement d’autrui ou à de nombreux aspects (spécificité-diffusion) ; (4) donne la primauté aux besoins privés d’autrui ou subordonne les besoins d’autrui aux intérêts définis du groupe plus large (orientation vers soi-orientation vers la collectivité) ; ou (5) souligne que toutes les personnes doivent être respectées parce qu’elles sont des êtres humains ou met l’accent sur la supériorité générale de ceux qui occupent des positions d’élite (égalitarisme-élitisme) (Parsons 1951, pp. 58-67 ; 1960).
Bien que les modèles de valeurs soient dichotomiques, pour les besoins de l’analyse comparative, il est préférable de les concevoir comme des échelles, le long desquelles les nations peuvent être classées en fonction de leur position relative sur chacune des variables du modèle. Les termes eux-mêmes représentent les valeurs polaires de chaque échelle, et les nations peuvent être classées en fonction de leur approximation relative de l’expression « pure » de chacune des valeurs polaires. Bien qu’il n’existe pas de base absolue permettant de porter des jugements en termes de variables de configuration, les nations peuvent être classées de manière assez fiable les unes par rapport aux autres. Par exemple, la Grande-Bretagne est plus ascriptive que les États-Unis mais beaucoup plus orientée vers l’accomplissement que l’Inde.
Les classements provisoires attribués aux quatre principales sociétés anglo-américaines sur ces cinq dimensions sont présentés dans le tableau 1, basé principalement sur des preuves empiriques impressionnistes plutôt que systématiquement collectées.
Tableau 1 – Estimations provisoires des classements relatifs des quatre démocraties anglophones selon la force de certaines caractéristiques.anglophones en fonction de la force de certaines variables de configuration (classées selon le premier terme de la polarité) | |||||
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Grande Grande-Bretagne | Australie | Canada | États-Unis | ||
Ascription-Réalisation | 1 | 2.5 | 2.5 | 4 | |
Particularisme-Universalisme | 1 | 2 | 3 | 4 | |
Diffusion-Spécificité | 1 | 2.5 | 2.5 | 4 | |
Orientation de la collectivité – Auto-orientation | .orientation | 1 | 2 | 3 | 4 |
Elitisme-Equalitarisme | 1 | 4 | 2 | 3 |
Selon ces estimations , L’Australie est légèrement plus égalitaire, mais moins orientée vers l’accomplissement, l’universalisme, la spécificité et l’auto-orientation que les États-Unis. Elle est moins universaliste mais plus égalitaire que le Canada. Le Canada diffère systématiquement des États-Unis sur les cinq dimensions, étant moins égalitaire, moins orienté vers la réussite, moins universaliste, moins spécifique et moins orienté vers soi ; et la Grande-Bretagne, à son tour, diffère systématiquement du Canada de la même manière que ce dernier diffère des États-Unis. Ces classements, bien sûr, sont basés sur l’abstraction des aspects idéal-typiques des quatre sociétés.
Pour mettre en évidence l’utilité analytique de ces distinctions, il semblerait utile de discuter des causes et des conséquences de la différenciation des valeurs nationales. Cela peut être fait en indiquant les variations dans le développement social de chaque pays qui ont vraisemblablement créé et soutenu des structures embrassant ces valeurs ; les différences dans les arrangements institutionnels qui se rapportent aux modèles de valeurs distincts peuvent alors être déduites.
Sources des différences de valeurs
Bien qu’il y ait évidemment de nombreux événements et facteurs dans l’histoire de ces nations qui ont déterminé les variations actuelles entre elles, trois particulièrement significatifs peuvent être distingués : (a) les origines variables de leurs systèmes politiques et de leurs identités nationales ; (b) des traditions religieuses différentes ; et (c) la présence ou l’absence de types spécifiques d’expériences frontalières.
Les variations dans les systèmes politiques de ces quatre sociétés proviennent de la révolution aux États-Unis, de la contre-révolution au Canada, du transfert de la culture de la classe ouvrière britannique du XIXe siècle en Australie, et d’un modèle de déférence en Grande-Bretagne soutenu par une monarchie et une aristocratie. Les variations des traditions religieuses se reflètent dans les doctrines puritaines et arminiennes ultérieures des États-Unis, qui ont soutenu un protestantisme non-conformiste et la séparation de l’Église et de l’État, et dans une tradition anglicane dominante en Angleterre, qui prévoit toujours que la grande majorité des personnes naissent dans l’Église nationale établie. Et l’impact diversifié de l’expérience des frontières a contribué à maintenir les orientations collectives en Australie et au Canada, mais a favorisé les orientations autonomes aux États-Unis. La Grande-Bretagne est entrée dans la période industrielle et démocratique moderne tout en conservant une grande partie de la structure formelle qui soutenait les classes dominantes et les institutions de la période précédente ; ainsi, de nombreuses orientations de valeurs préindustrielles et prédémocratiques qui mettaient l’accent sur l’ascription et l’élitisme sont restées viables. En revanche, la croissance du Canada, de l’Australie et des États-Unis a impliqué la colonisation de frontières relativement vides. Le développement différent de la frontière et les approches variées de la question foncière ont effectué des divergences dans la structure sociale et les idéologies politiques de ces trois sociétés originellement coloniales.
Les États-Unis
Le développement de la frontière américaine, le succès du petit fermier cultivant son propre sol, ont soutenu les emphases révolutionnaires sur l’égalitarisme et la réussite. L’Amérique postrévolutionnaire offrait des opportunités économiques individuelles, ce qui inhibait le développement des antagonismes de classe. Au début du XIXe siècle, jusqu’à quatre cinquièmes des personnes libres qui travaillaient étaient propriétaires de leurs propres moyens de subsistance (Corey 1935, pp. 113-114 ; Mills 1951, p. 7). Le statut social dépendait largement de la quantité de biens possédés. Ce développement d’une majorité d’individus propriétaires a donné à la société américaine la structure de classe moyenne prédominante sur laquelle ses institutions politiques démocratiques ont été fondées. Dès leurs débuts, les États-Unis n’ont pas connu de hiérarchie sociale liée à la présence d’une aristocratie ou d’une paysannerie.
L’orientation vers soi si répandue aux États-Unis a beaucoup de ses racines et de son élan dans le système religieux arminien qui, contrairement à la tradition catholique romaine et anglicane, affirme que chacun est jugé individuellement et par ses propres réalisations. Comme l’a souligné Max Weber, le confessionnalisme et le sectarisme ont contribué à créer une éthique ascétique du travail qui a facilité l’émergence du capitalisme moderne et de la réussite individuelle. Ainsi, l’accomplissement, l’universalisme et l’orientation vers soi ont été renforcés aux États-Unis par une tradition religieuse dominante qui met l’accent sur un protestantisme non conformiste, insistant sur la responsabilité individuelle, la fierté de soi et l’ambition individuelle. Comme l’a observé Tocqueville, aux États-Unis, même le catholicisme romain a initialement assumé quelque chose d’un caractère indépendant, sectaire, en désaccord avec les élites prospectives, et a ainsi contribué aux tendances libéralisantes et populistes ( 1945, vol. 2, p. 312).
Canada
La nation canadienne résulte de la défaite de la Révolution américaine dans les colonies britanniques du nord. Sa raison d’être est la victoire de la « contre-révolution » qui affirmait plusieurs des valeurs rejetées par les États-Unis. L’esprit loyaliste se reflète dans les plans des autorités impériales visant à établir une aristocratie héréditaire et coloniale au Canada :
Les efforts pour renforcer les liens politiques de l’Empire ou de la nation ont conduit à des tentatives délibérées, par le biais de concessions de terres et de préférences politiques, de créer et de renforcer une aristocratie dans les colonies… et, plus tard, de façon moins évidente, dans la nation canadienne. Le mouvement démocratique, pensait-on, risquait de rapprocher les Canadiens de leurs voisins du sud ; et une classe supérieure privilégiée était un rempart de loyauté et de conservatisme. (Clark 1962, p. 194)
Avec une sorte de fierté burkéenne, les pionniers du Canada anglais affichaient un dédain ouvert pour la doctrine des droits de l’homme. L’ampleur de ce sentiment antirévolutionnaire chez les Canadiens anglais a été notée par un historien canadien en ces termes :
Le climat mental du Canada anglais dans ses premières années de formation était déterminé par des hommes qui fuyaient l’application pratique des doctrines selon lesquelles tous les hommes naissent égaux et sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables parmi lesquels figurent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. … Au Canada, nous n’avons pas de tradition révolutionnaire ; et nos historiens, politologues et philosophes ont assidûment tenté de nous apprendre à être fiers de ce fait. (Underbill 1960, p. 12)
Une grande partie de la population canadienne originale d’après 1783 rejetait les valeurs américaines d’égalitarisme et d’universalisme. Dans ce qui allait devenir le Canada anglais, les émigrés tories qui s’installèrent dans les Maritimes et en Ontario constituèrent les premiers loyalistes de l’Empire-Uni, fidèles à la couronne et aux institutions sociales et politiques britanniques. Au Canada français, le clergé conservateur dominant craignait et inhibait les doctrines libérales des révolutions américaine et française.
Des mouvements démocratiques sont apparus au Canada, qui, comme ceux du sud, ont tiré leur soutien de la frontière agraire des petits fermiers indépendants s’efforçant de devenir économiquement prospères. Les principales préoccupations de ces colons, en tant que classe, étaient la liberté des terres, l’abondance et l’accessibilité des marchés, les politiques monétaires et financières avantageuses pour leur économie (Brady 1960, p. 463). Les régions frontalières libérales autonomes étaient des centres potentiels de sédition, d’engagement envers les valeurs américaines. L’établissement de la Police à cheval du Nord-Ouest, contrôlée par le gouvernement central, pour maintenir la loi et l’ordre à la frontière, visait à protéger la domination canadienne. La frontière canadienne n’a jamais été autorisée à s’étendre au-delà du contrôle direct du gouvernement central. Une telle centralisation était nécessaire parce que l’autonomie locale pouvait entraîner un soutien aux efforts visant à se joindre aux États-Unis. Ces conditions ont contribué à un plus grand respect de la loi et de l’autorité (élitisme) au nord de la frontière qu’au sud. « Aux États-Unis, la frontière a engendré un esprit de liberté qui s’est souvent opposé aux efforts visant à maintenir l’ordre. Au Canada, l’ordre était maintenu au prix de l’affaiblissement de cet esprit » (Clark 1962, p. 192). Le Canada n’a jamais glorifié l’homme de la frontière et ses tendances à la rébellion et à l’indépendance ; le chantre du populisme égalitaire, Walt Whitman, qui était populaire en Amérique (et en Australie), ne l’était pas au Canada (Bissell 1956, pp. 133-134).
Des différences significatives dans le développement religieux du Canada et des États-Unis sont également évidentes. Les deux sociétés ont connu leurs mouvements sectaires novateurs, mais au Canada, les sectes ont été plus enclines à s’aligner sur les institutions traditionnelles et plus prêtes à imiter le style des églises établies (Clark 1962, pp. 167-182). Les nouveaux mouvements religieux au Canada n’ont généralement pas réussi à accroître de façon significative l’orientation vers les réalisations. Aux États-Unis, les sectes protestantes ascétiques ont dominé la nation à la fin du premier quart du XIXe siècle et ont réussi à institutionnaliser leurs valeurs, qui encourageaient le travail acharné, l’épargne et l’investissement. Ainsi, alors que les conditions de la frontière canadienne étaient souvent tout aussi destructrices pour les relations sociales traditionnelles que celles de la frontière américaine, la prédominance des valeurs religieuses anglicanes et catholiques françaises, qui soutenaient l’élitisme et le particularisme, a contribué à prévenir l’individualisme (l’orientation vers soi) et l’égalitarisme excessifs inhérents aux communautés frontalières.
Australie
Depuis ses débuts comme colonie pénitentiaire britannique, fondée à Sydney en 1788, la structure sociale de l’Australie a reflété les influences de l’immigration (bagnards et non bagnards) et de la géographie. Bien que les Britanniques aient espéré faire de l’Australie une société de petits agriculteurs indépendants, l’agriculture s’est avérée difficile en raison de la pauvreté du sol et de l’aridité du climat. La richesse de l’Australie résidait dans les moutons, et non dans les cultures. La possession de vastes pâturages par des propriétaires individuels opérant avec des ouvriers engagés fit de l’Australie un monde d’affaires où l’exploration des terres par des agriculteurs de subsistance était inconnue. « Le frontalier australien typique du siècle dernier était un travailleur salarié qui ne s’attendait généralement pas à devenir autre chose » (Ward 1959, p. 226).
La frontière rurale de l’Australie a donné naissance à une classe supérieure pastorale et à une grande classe laborieuse sans propriété. Les grandes villes portuaires des six colonies australiennes devinrent très peuplées, et les travailleurs urbains formèrent le front du mouvement démocratique. Ils s’opposèrent à l’oligarchie des herbagers et développèrent rapidement une solidarité de classe qui allait influencer le développement économique et politique ultérieur de l’Australie.
« L’Australie est l’un des très rares pays dont l’ensemble du développement s’est déroulé depuis les débuts de la révolution industrielle » (Ward 1959, p. 18), et par conséquent, elle a développé son ethos national et sa structure de classe à une époque où les valeurs traditionnelles et aristocratiques étaient fortement attaquées (Rosecrance 1964, pp. 275-318). Structurellement, la société australienne possède les strates inférieures des îles britanniques sans les strates supérieures. Elle a toujours reflété les valeurs de la classe ouvrière – égalitarisme, antiélitisme et particularisme (conscience de groupe).
La solidarité de la classe ouvrière et l’ensemble correspondant d’orientations de valeurs importées de Grande-Bretagne ont été renforcées par la structure sociale de la frontière australienne. Les bushmen australiens se sont tournés vers l’action collective et vers le principe du » mateship « , ou » l’acceptation non critique des obligations réciproques de fournir de la compagnie et un soutien matériel ou de l’ego selon les besoins » (Taft & Walker 1958, p. 147). Cette philosophie du compagnonnage soutient les valeurs égalitaires en Australie et, selon certains, est responsable de contrecarrer le développement de fortes orientations vers la réussite (Goodrich 1928, pp. 206-207).
Un certain nombre de commentateurs ont récemment attiré l’attention sur ce qu’ils décrivent comme l’américanisation de l’Australie, par laquelle ils entendent « la croissance de la compétitivité et de l’éthique de la réussite » (Jeanne MacKenzie 1962, p. 8). La croissance rapide de l’enseignement supérieur en Australie suggère que les Australiens sont peut-être en train de perdre leur dédain pour la réussite, mais le système de valeurs met apparemment toujours l’accent sur un engagement envers des relations sociales égalitaires au-delà de ce que l’on trouve dans d’autres sociétés complexes. Par exemple, c’est « le seul pays occidental qui a longtemps résisté à la nocive habitude du pourboire » (Jeanne MacKenzie 1962, p. 102). Un politologue australien a fait remarquer qu' »en Australie, il y a peu de respect pour la richesse en tant que telle. (…) Il est plus difficile pour un magnat de l’industrie d’entrer en politique que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille » (Eggleston 1953, p. 11).
On a peu écrit sur le lien entre les institutions et les traditions religieuses de l’Australie et les autres aspects de son développement. Les deux principales dénominations sont l’anglicanisme (34,8 %) et le catholicisme romain (24,6 %). Les dénominations d’origine arminienne et calviniste sont relativement peu nombreuses. Les données disponibles indiquent toutefois que les adhérents de ces derniers groupes ont tendance à avoir mieux réussi que ceux des premiers. Ainsi, parmi les dénominations chrétiennes australiennes, les quatre dont les adeptes ont le statut professionnel le plus élevé sont les presbytériens, les congrégationalistes, les méthodistes et les baptistes, dans cet ordre (Taft & Walker 1958, p. 175). Une question demeure, à savoir dans quelle mesure la faiblesse des sectes historiques a retardé le développement d’une éthique protestante ascétique orientée vers le travail dur. La plupart des commentateurs qui cherchent à expliquer pourquoi les Australiens semblent moins orientés vers le travail et plus préoccupés par les loisirs que les citoyens de certaines autres nations attribuent l’origine de cette éthique à la transplantation des normes de « restriction de la production » des travailleurs anglais du XIXe siècle plutôt qu’à la religion (Rosecrance 1964).
Si de nombreuses différences entre les États-Unis et le Canada peuvent être liées au fait que l’un est l’excroissance d’une révolution démocratique réussie et l’autre de sa défaite, certaines des différences entre les deux nations du Commonwealth britannique, le Canada et l’Australie, peuvent également être liées à des origines politiques différentes. Contrairement au Canada, l’Australie n’a pas émergé d’une révolution démocratique vaincue et n’a pas d’histoire de mouvements réformistes vaincus au XIXe siècle. C’est plutôt l’inverse qui est vrai : la « gauche » a joué le rôle principal dans la définition des institutions politiques et sociales pendant la période où l’identité nationale s’est établie. L’unification canadienne de 1867 est associée au parti conservateur, tandis que la fédération de l’Australie au tournant du siècle a été poussée dans la plupart des États par le parti travailliste. Il est intéressant de noter qu’en Australie, comme aux États-Unis, c’est le parti « conservateur » qui a changé de nom pour éviter d’être associé à des éléments traditionnels et privilégiés. « Ce n’est pas par accident mais à dessein que le terme conservateur a disparu au début du vingtième siècle de la nomenclature des partis en Australie et en Nouvelle-Zélande. … Il ne pouvait manifestement pas gagner un soutien suffisamment varié parmi les éléments survivants de l’opinion conservatrice. Au Canada, un point de vue conservateur a, à bien des égards, trouvé une grande faveur » (Brady 1960, p. 528).
Dans un certain sens, certaines des différences de perspectives qui persistent entre le Canada et l’Australie peuvent être considérées comme reflétant le besoin de chaque pays de se dissocier de la grande puissance qui a exercé sur lui l’influence culturelle et économique la plus directe. Les Canadiens sont les « anti-Américains » les plus anciens et les plus constants du monde. Le Canadien a toujours senti son sens de la nationalité menacé par les États-Unis, physiquement dans le passé, culturellement et économiquement dans les années plus récentes. Non seulement les Canadiens ont-ils jugé nécessaire de se protéger contre l’expansion américaine, mais ils ont également jugé nécessaire de souligner pourquoi ils ne sont pas et ne devraient pas devenir Américains ; ils l’ont fait en dénigrant divers éléments de la vie américaine, principalement ceux qui semblent être une excroissance de la démocratie de masse et un accent excessif sur l’égalitarisme. Le nationalisme australien, en revanche, a inspiré des efforts visant à dissocier l’Australie de la Grande-Bretagne, d’abord sur le plan politique, puis sur celui des valeurs sociales. La Grande-Bretagne était perçue de manière antagoniste comme le bastion d’une inégalité rigide. Ainsi, là où le Canada justifiait une attitude plus élitiste en réaction à l’égalitarisme américain, l’Australie imitait divers modèles égalitaires américains en réaction à l’élitisme britannique.
Bretagne
La plus ancienne des sociétés anglo-américaines, la Grande-Bretagne se distingue clairement des trois autres pays par la présence d’une monarchie résidente visible qui, même aujourd’hui, conserve une influence sociale considérable sur la populace. Même les dirigeants socialistes, tels que Clement Attlee et Herbert Morrison, acceptent les titres aristocratiques comme de grands honneurs, un phénomène qui ne se produit dans aucun autre pays du monde. En Angleterre, une étude d’opinion publique rapporte qu' »en 1957, trois personnes sur cinq dans tout le pays gardaient encore des souvenirs du couronnement de 1953 ; et trois sur dix affirmaient avoir une photo d’une personne royale dans leur maison » (Harrisson et al. 1961, p. 232).
La caractérisation de la société britannique comme élitiste et ascriptive avec des orientations de diffusion et de collectivité est soutenue par la religion institutionnalisée, qui joue encore un rôle d’intégration sociale. L’Angleterre, contrairement aux trois autres sociétés anglo-américaines, ne sanctionne pas la scission entre l’Église et l’État. L’Église d’Angleterre reste une Église établie. En Angleterre, le premier ministre nomme les évêques ; d’autres ecclésiastiques sont également nommés par des fonctionnaires séculiers. En fait, les archevêques et 26 évêques principaux siègent à la Chambre des Lords. Le Prayer Book, qui est la forme liturgique approuvée du culte, est soumis à l’approbation du Parlement, et une tentative de révision du Prayer Book en 1928 a été rejetée par la Chambre des communes (Richmond 1958, p. 108).
Les classes supérieures traditionnelles et leurs institutions – les écoles publiques, les anciennes universités et l’aristocratie titrée – restent au sommet de la structure sociale (Crosland 1957, p. 232-237 ; Williams 1961, p. 318-321 ; Sampson 1962, p. 160-217). George Orwell a suggéré que les sentiments de déférence sont si forts chez les travailleurs britanniques que « même dans la littérature socialiste, il est courant de trouver des références méprisantes aux habitants des bidonvilles…. ». Il y a probablement plus de disposition à accepter les distinctions de classe comme permanentes, et même à accepter les classes supérieures comme des leaders naturels, que ce qui survit dans la plupart des pays. … Le mot « Sir » est très utilisé en Angleterre, et l’homme qui semble appartenir à la classe supérieure peut généralement obtenir plus que sa part de déférence… » (1947, p. 29). (1947, p. 29).
Bien que des valeurs élitistes, ascriptives, particularistes et axées sur la collectivité persistent dans la société britannique, la Grande-Bretagne s’est beaucoup rapprochée de l’ensemble d’orientations opposées. L’industrialisation, l’urbanisation et la démocratisation politique ont toutes stimulé la croissance des valeurs universalistes et orientées vers la réalisation. Mais par rapport aux autres pays anglophones, la Grande-Bretagne conserve un grand nombre de ses valeurs préindustrielles, qui sont soutenues par leur identification avec le sommet de la hiérarchie sociale. Ainsi, au XIXe siècle, les classes d’affaires britanniques ont rejeté l’orientation collective de noblesse oblige caractéristique de l’aristocratie : elles ont nié toute responsabilité à l’égard des pauvres et, au contraire, ont justifié leur prétention à l’autorité sur les pauvres par le fait qu’ils possédaient des machines productives (Bendix 1954, p. 271). Cependant, dans un laps de temps relativement court, les porte-parole des nouvelles classes entrepreneuriales ont imité l’ancienne aristocratie en formulant une idéologie qui affirmait leur responsabilité à l’égard des ouvriers et des classes inférieures en général et prétendait que ce devoir était accompli (Bendix 1956, p. 100-116). Les classes supérieures britanniques, contrairement à la plupart des aristocraties continentales, ont maintenu leur prestige social et leur influence par une forte résistance aux revendications des nouvelles classes d’affaires, et plus tard des ouvriers, de participer à la politique. Comme l’a souligné Tocqueville, les classes supérieures britanniques ont maintenu une « aristocratie ouverte » à laquelle on peut accéder par la réussite, conférant aux entrants un grand nombre des privilèges diffus du rang hérité (Tocqueville 1833-1835).
Il est extrêmement difficile de vérifier les hypothèses concernant les différences de rangs dans les emphases de valeurs qui ont été posées ici ou de montrer les façons dont ces différences affectent les modèles de comportement. Certains des indicateurs économiques concernant la distribution du revenu et de la richesse, la taille du revenu national et les taux de croissance par habitant tendent cependant à soutenir ces hypothèses.
Structure économique
L’importance apparemment plus grande accordée à l’égalitarisme en Australie qu’aux États-Unis et au Canada peut expliquer le fait que l’Australie présente un différentiel de revenu plus faible que les États-Unis et le Canada. « Le différentiel entre les revenus les plus bas et les plus élevés est faible en Australie. Dans n’importe quelle organisation commerciale ou industrielle, le salaire des cadres de deuxième niveau n’est généralement pas plus de trois fois celui de l’employé adulte masculin le moins bien payé (avant l’impôt sur le revenu, qui nivelle les revenus considérablement plus) » (Taft & Walker 1958, p. 141). Lorsque l’on compare la répartition des revenus en Australie et aux États-Unis, il est clair que la majorité des revenus australiens sont répartis dans une fourchette plus étroite et avec un point médian plus bas que la majorité des revenus américains. Les données sur le revenu pour la période 1957-1959 indiquent que la différence entre les niveaux de revenu au-dessous desquels se situent 25 % et 75 % de la population (contribuables) est de 1 300 dollars en Australie, ce qui est proche du niveau de revenu de 25 % (environ 1 250 dollars). Aux États-Unis, la différence correspondante entre les niveaux de revenu de 25 % et de 75 % (pour les familles et les personnes non apparentées) est d’environ 5 000 dollars, soit plus du double du niveau de revenu de 25 % (environ 2 200 dollars). Cette comparaison implique qu’il y a proportionnellement moins de pauvres et de millionnaires en Australie qu’aux États-Unis (Mayer 1964). Et les rapports sur les données relatives aux revenus britanniques indiquent qu’il y a une concentration beaucoup plus grande de faibles revenus entre les mains d’un grand nombre et de revenus élevés entre les mains d’un petit nombre qu’aux États-Unis ou au Canada (Lydall & Lansing 1959, pp. 59-64 ; Bryden 1964, p. 30 ; Grande-Bretagne, Central Statistical Office, 1960, pp. 254-257 ; Australie, Department of the Treasury, Taxation Office, 1960-1961, p. 42). Il existe également de nombreuses preuves qu’en dépit de six années de gouvernement travailliste après la guerre et d’un engagement important en faveur d’un État-providence, la répartition de la richesse en Grande-Bretagne est beaucoup moins égale qu’aux États-Unis (Lampman 1962, pp. 211, 215 ; Lydall & Lansing 1959, p. 64). Une étude récente de la répartition des revenus en Grande-Bretagne conclut que « la propriété de la richesse, qui est beaucoup plus fortement concentrée au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, est probablement devenue encore plus inégale et, en termes de propriété familiale, peut-être de façon frappante plus inégale, au cours des dernières années » (Titmuss 1962, p. 198).
L’Australie se situe actuellement à l’extrémité égalitaire de l’échelle de répartition des revenus parmi les quatre nations, tandis que la Grande-Bretagne reste la plus inégalitaire. Ces dernières années, cependant, divers commentateurs de la scène australienne ont suggéré que les valeurs d’accomplissement gagnent, indiquées par un soutien croissant à une plus grande différenciation des revenus entre les emplois sur la base du niveau de compétence et d’éducation requis, et que le sentiment de préserver un faible écart salarial est en déclin. Les associations professionnelles et les syndicats de travailleurs qualifiés ont demandé des augmentations substantielles des marges salariales qui les séparent des personnes occupant des emplois moins qualifiés. La Commission d’arbitrage a commencé à reconnaître ces revendications (Encel 1964, pp. 61-66). En se prononçant sur les revendications de l’association des ingénieurs, qui s’est opposée aux politiques salariales égalitaires antérieures au motif que » le prestige et l’importance sociale devraient se refléter dans sa rémunération… reconnaît que » nous sommes à une époque technologique où les besoins de l’humanité ne cessent de devenir plus complets et plus complexes « , que la satisfaction de ces besoins dépend grandement de l’habileté de l’ingénieur, et que les bas salaires empêchent l’ingénieur professionnel d’occuper » la place honorée dans la communauté qui lui revenait de droit » (Davies & Encel 1965, pp. 30-31). Les États-Unis ont traditionnellement mis l’accent sur le fait que la réussite (égalité des chances) et l’égalitarisme social (égalité des mœurs) n’impliquent pas « l’égalité des revenus », alors que l’Australie part du principe que la « camaraderie » et « l’égalité de statut » exigent le maintien de faibles écarts de revenus entre les professions à statut élevé et celles à statut faible. Dans l’ensemble, les syndicats de travailleurs manuels en Australie sont encore plus susceptibles que ceux de l’Amérique du Nord de négocier des augmentations « générales » plutôt qu’une différenciation entre les divers groupes de compétences et sont également plus susceptibles de préférer des heures plus courtes à une augmentation de salaire, des politiques qui peuvent refléter le niveau plus faible de motivation d’accomplissement là-bas.
Système éducatif
Peut-être qu’aucune autre institution n’est aussi intimement liée aux valeurs d’accomplissement et d’égalitarisme que le système éducatif. Ici aussi, il semble possible de relier bon nombre des faits disponibles concernant les variations institutionnelles entre ces quatre pays à des hypothèses concernant les différences de valeurs. La preuve la plus frappante de la différence de valeurs entre les Etats-Unis et les autres sociétés est peut-être la variation des possibilités d’enseignement supérieur. Les trois autres pays ont une proportion considérablement plus faible de jeunes d’âge collégial inscrits dans l’enseignement supérieur que les États-Unis, bien que l’Australie soit un peu plus proche des États-Unis que le Canada, qui à son tour a une cohorte plus importante dans l’enseignement supérieur que la Grande-Bretagne (voir tableau 2).
Tableau 2 – Étudiants inscrits dans des établissements d’enseignement en pourcentage du groupe d’âge 20-24 ans, vers 1960 | |
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Sources : Recueil des statistiques sociales 1963, pp. 329, 331, 324-325 ; Annuaire démographique, 1960, pp. 182, 191-192, 245-246. | |
États-Unis | 30.2 |
Australie | 13,1 |
Canaba | 9,2 |
Angleterre et Pays de Galles | 7.3 |
Les efforts vigoureux et fructueux déployés aux États-Unis pour étendre les possibilités d’enseignement supérieur reflètent à la fois les pressions exercées par les personnes de statut inférieur pour s’assurer les moyens de réussir et la reconnaissance par les privilégiés que les valeurs américaines d’égalité et de réussite exigent que ceux qui sont qualifiés aient les moyens de participer à la « course au succès ». »
Il existe des estimations variables du nombre de personnes qui entrent et fréquentent les établissements d’enseignement supérieur dans les différents pays, en grande partie à cause des différentes définitions de l’enseignement supérieur dans chaque nation. Mais même en appliquant les définitions et hypothèses britanniques plutôt étroites, il semble clair que la proportion d’Américains en âge de fréquenter le collège inscrits dans l’enseignement supérieur est au moins quatre et peut-être sept fois supérieure à celle des Britanniques et que le ratio américain est deux à trois fois supérieur à celui du Canada et de l’Australie (Grande-Bretagne, Committee on Higher Education, 1964).
Certaines preuves que ces différences reflètent des variations de valeurs, et non pas simplement des différences de richesse ou de structures professionnelles, peuvent être déduites du fait que les deux principales anciennes colonies américaines, les Philippines et Porto Rico, bien qu’ayant un faible revenu par habitant, ont une proportion beaucoup plus importante de la cohorte d’âge collégial inscrite dans les collèges et les universités que n’importe quel pays d’Europe ou du Commonwealth, un phénomène qui semble refléter l’effort réussi des Américains pour exporter leur croyance que « tout le monde » devrait avoir une chance de recevoir une éducation collégiale. De même, les Écossais, dont la société est à la fois plus égalitaire et plus orientée vers la réussite que les Anglais, bien que beaucoup plus pauvres économiquement, ont proportionnellement beaucoup plus d’étudiants inscrits dans les universités. La croissance rapide de la proportion d’Australiens encore scolarisés dans la tranche d’âge des 20-24 ans, qui place l’Australie loin devant le Canada, indique que les observateurs de la scène australienne ont peut-être raison de dire que les valeurs de réussite y gagnent. Cela met également en évidence la relation étroite entre la réussite et l’égalitarisme. Un spécialiste australien de l’éducation explique que la croissance de l’éducation est inhérente à « l’objectif d’égalité des chances en matière d’éducation qui découle de la philosophie sociale du pays » (Bassett 1963).
Le contenu des programmes d’enseignement semble également refléter les différences de valeurs nationales. Aux États-Unis et en Australie, où les différences de statut sont apparemment moins accentuées qu’au Canada, sans parler de la société britannique, beaucoup plus liée au statut, les programmes d’études comprennent davantage de cours professionnels, techniques et spécialisés dans les écoles et les universités. Ces cours reflètent le point de vue selon lequel l’éducation devrait viser à transmettre non seulement des compétences intellectuelles et purement académiques, mais aussi des connaissances pratiques directement applicables à une situation professionnelle spécifique (Conant 1961). Comme aux États-Unis, les universités australiennes « deviennent de plus en plus des institutions de formation de haut niveau. Des cours de pharmacie, de foresterie, d’arpentage, de physiothérapie, de travail social, d’urbanisme, d’économie agricole, de radiographie et de nombreux autres nouveaux sujets sont apparus sur la scène pour gonfler le nombre d’étudiants universitaires et créer de nouvelles professions là où il n’y avait que des occupations auparavant » (Bassett 1963, p. 293).
En Grande-Bretagne, et à un moindre degré au Canada, la formation technique a été considérée comme corrompant « l’aristocratie de l’intellect », ou ceux qui sont formés pour le leadership politique et social. Les Britanniques ont largement maintenu l’enseignement supérieur professionnel en dehors des universités, avec des collèges ou des écoles distincts non affiliés à des universités pour ces sujets. Les Canadiens, bien qu’ils aient moins bien réussi à résister à l’introduction de ces matières que les Britanniques, diffèrent encore des Américains en ce qu’ils sont plus désireux de maintenir l’accent humaniste dans les programmes d’études, un point de vue qui semble accompagner les valeurs ascriptives et élitistes dans d’autres sociétés également (Woodside 1958, p. 20). Il a été noté qu’en Australie « une approche utilitaire de l’éducation est largement répandue. La scolarité est considérée comme une formation professionnelle et une adaptation sociale plutôt que comme l’extension de l’éducation et des connaissances générales » (Barcan 1961, p. 43).
Le système éducatif britannique s’est traditionnellement attaché à donner une éducation séparée et spéciale aux personnes sélectionnées pour l’élite – que ce soit sur la base d’un héritage ou d’une capacité démontrée – en les soustrayant au contact avec les éventuels non-élites dans des écoles publiques ou des grammar schools, dans lesquelles on insiste beaucoup sur l’inculcation de la culture esthétique de l’élite, de ses manières et de son sens du paternalisme envers les non-élites (Young 1959, p. 40 ; Vaizey 1959, p. 28-29 ; Middleton 1957, p. 230-231). Le système américain, par contre, comme l’a dit James Conant, exige comme idéal « un noyau commun d’éducation générale qui unira dans un même modèle culturel le futur charpentier, l’ouvrier d’usine, l’évêque, l’avocat, le médecin, le directeur des ventes, le professeur et le mécanicien de garage » (voir Young 1959, p. 40). Certains auteurs canadiens ont fait remarquer que, jusqu’à tout récemment, l’éducation dans leur pays était conçue pour former une élite ecclésiastique et politique, selon la tradition britannique (Woodside 1958, pp. 21-22 ; Wrong 1955, p. 20). Le Canada est pris dans le douloureux dilemme entre ce qu’on pourrait appeler l’orientation européenne et l’orientation américaine (Nash 1961).
Structure politique
Les mêmes hypothèses sur les conséquences interdépendantes des emphases des valeurs nationales s’appliquent aux variations des conflits politiques et de classe. Ainsi, les différences d’origine des partisans des partis politiques sont beaucoup plus étroitement corrélées aux lignes de classe en Australie et en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis et au Canada (Alford 1963, pp. 101-107). Les deux nations les plus polarisées, l’Australie et la Grande-Bretagne, sont celles dans lesquelles le particularisme de la classe ouvrière (conscience de groupe) entretient un sentiment de conscience de classe politique. À l’inverse, les deux polities nord-américaines se caractérisent par un accent plus marqué sur l’universalisme et l’orientation vers la réussite. Lorsque ces valeurs sont privilégiées, la personne de statut inférieur est plus susceptible de se sentir poussée à réussir par ses propres efforts et, par conséquent, elle est moins encline à accepter les doctrines politiques qui soulignent la responsabilité collective du succès ou de l’échec (Merton 1957, p. 167-169). Les différences d’importance et de pression peuvent également se refléter dans les différences d’affiliation syndicale. En Australie, les deux tiers de tous les travailleurs sont syndiqués (Walker 1956, p. 325), alors qu’au Royaume-Uni, un peu plus de 40 % de la population active est syndiquée et qu’aux États-Unis et au Canada, environ 30 % des personnes occupant un emploi non agricole sont syndiquées (Bureau international du travail 1961, p. 18-19 ; Cyriax & Oakeshott 1961, p. 14 ; U.S. Bureau of the Census 1964, p. 247 ; Canada, Bureau of Statistics, 1962, pp. 246-249).
Bien que l’on insiste davantage sur la relation entre la classe et le parti en Australie et en Grande-Bretagne que dans les deux nations nord-américaines, le parti travailliste a pu gagner beaucoup plus d’acceptation parmi l’électorat en Australie qu’en Grande-Bretagne. L’Australie a eu un gouvernement travailliste minoritaire dès 1904, et le premier gouvernement travailliste majoritaire au monde en 1910. Bien que les partis libéraux (conservateurs) aient dominé la plupart des gouvernements fédéraux pendant la majeure partie de la période d’après-guerre, cela est dû en partie à la présence de deux partis travaillistes rivaux sur les bulletins de vote. En Grande-Bretagne, par contre, les conservateurs ont été le parti dominant pendant la majeure partie du XXe siècle. Le parti travailliste, en fait, n’a jamais reçu de vote majoritaire de la part de l’électorat. On peut penser que ces différences nationales reflètent la prévalence en Australie de valeurs politiques dérivées des sentiments de camaraderie particularistes développés au sein d’une classe ouvrière transplantée de la société plus ascriptive et particulariste des îles britanniques. En Australie, les descendants de la classe ouvrière britannique n’ont pas été soumis à l’influence compensatrice d’une élite traditionnelle soutenue par des normes déférentes, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Ainsi, les valeurs de classe particularistes (compagnonnage) ont favorisé une forte organisation politique et économique de classe en Australie et en Grande-Bretagne, mais l’absence de valeurs ascriptives (aristocratiques) et élitistes dans la première a miné le soutien aux institutions et aux partis conservateurs.
La politique des États-Unis et du Canada diffère en ce que l’identification à l’élite constitue un handicap électoral aux États-Unis. Le parti démocrate a eu l’avantage historique (hormis les séquelles de la guerre de Sécession) d’être perçu comme le parti de l’homme du commun, du peuple, en opposition à l’élite. Le Canada, par contre, n’a pas de tradition populiste antiélitiste aussi légitime. Contrairement aux États-Unis, il a mis l’accent sur les inconvénients du populisme, une perspective qui a peut-être joué un rôle majeur en empêchant l’émergence d’un conflit de partis de classe gauche-droite clairement défini dans le pays. Au Canada aussi, la politique différenciée par classe a probablement été entravée par le fait que le particularisme (conscience de groupe) s’est toujours exprimé beaucoup plus en termes religieux et ethniques (linguistiques) qu’en fonction des lignes de classe (Alford 1963, p. 262-277 ; Regenstreif 1963, p. 63).
L’égalitarisme américain et australien et le manque de déférence à l’égard du statut n’entraînent pas seulement une plus grande légitimité pour le parti de « gauche » mais contribuent également à la force relativement plus grande dans ces nations des mouvements populistes anti-élitistes à travers lesquels s’exprime le mécontentement populaire. Le respect apparemment moindre des « règles du jeu politique » aux États-Unis, et dans une certaine mesure en Australie également, peut être considéré comme endémique à un système dans lequel l’égalitarisme est fortement valorisé et l’élitisme diffus absent. La déférence généralisée n’est pas accordée à ceux qui sont au sommet ; par conséquent, dans les deux nations les plus égalitaires, il y a des tentatives répétées de redéfinir les règles ou de les ignorer. En effet, la légitimité et les décisions des dirigeants sont constamment remises en question. Un commentaire fait par un politologue australien concernant les attitudes envers les dirigeants politiques dans son pays pourrait s’appliquer aux États-Unis : « La suspicion à l’égard de l’autorité établie qui imprègne la société australienne trouve un exutoire particulier dans une méfiance généralisée à l’égard des politiciens, qui sont considérés comme corrompus, égoïstes, sans éducation, d’une capacité médiocre et inaptes à se voir confier le pouvoir » (Encel 1962, p. 209).
Beaucoup ont soutenu que le respect déférent plus répandu pour les élites en Grande-Bretagne, et dans une certaine mesure au Canada, par rapport à l’antiélitisme des deux autres nations, sous-tend la liberté de dissidence politique et les libertés civiles garanties si caractéristiques de la Grande-Bretagne et du Canada anglophone. L’accent mis sur l’élitisme et la diffusion se reflète dans la capacité des élites les plus unifiées et les plus influentes à contrôler le système de manière à inhiber l’émergence de mouvements populistes qui expriment l’intolérance politique. Le sociologue canadien S. D. Clark note que : « Au Canada, il serait difficile de concevoir un état de liberté politique suffisamment grand pour permettre le genre d’attaques contre les dirigeants responsables du gouvernement qui ont été menées aux États-Unis » (1954, p. 72). En cherchant à expliquer pourquoi la Grande-Bretagne n’a pas été témoin d’attaques contre l’intégrité de son élite dirigeante, Edward Shils commente que « l’acceptation de la hiérarchie dans la société britannique permet au gouvernement de conserver ses secrets, avec peu de contestation ou de ressentiment » (1956, p. 49 et suivantes ; Hyman 1964, p. 294).
L’élitisme diffus tend à placer un tampon entre les élites et le reste de la population. La capacité de la Grande-Bretagne à fonctionner sans constitution écrite, ou du Canada sans déclaration des droits, qui imposerait des restrictions aux violations parlementaires des libertés civiles, est dans une certaine mesure rendue possible par l’accent mis sur la diffusion et l’élitisme dans les deux systèmes. Dans ces sociétés, les élites, qu’il s’agisse de celles de l’intellect, des affaires, de la politique ou des organisations de masse, sont à la fois protégées et contrôlées par leur appartenance au « club », qui prescrit les normes régissant les conflits entre les membres.
La plus grande violation des libertés civiles des groupes minoritaires dans les démocraties plus égalitaires peut être considérée comme une conséquence d’un système social dans lequel le statut d’élite est plus spécifique. En conséquence, les élites en conflit ne reçoivent pas un respect diffus et ressentent moins le besoin de se conformer à un ensemble de règles communes lorsqu’elles sont engagées dans une lutte. Elles ne se considèrent pas mutuellement comme faisant partie du même club, comme membres d’un « établissement ». Par conséquent, les conflits concernant les règles, ainsi que les politiques, sont soumis au grand public pour être résolus. Et cela implique de faire appel, dans une certaine mesure, à un électorat de masse pour se prononcer sur des règles dont on ne peut s’attendre à ce qu’il comprenne parfaitement la signification et l’applicabilité. L’appréciation de la nécessité de telles règles implique souvent une socialisation à long terme à la nature du processus politique.
Certaines des différences dans les réactions politiques entre les quatre nations peuvent également être dues à l’accent mis sur les valeurs d’orientation personnelle par rapport aux valeurs d’orientation collective. L’accent mis sur le particularisme tend à être lié aux orientations collectives. De plus, la moralité de noblesse obligée inhérente à l’aristocratie est un aspect de l’orientation collective. Historiquement, la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada ont mis l’accent sur les orientations collectives bien plus que les États-Unis. Dans les deux premiers pays, même les partis non socialistes ont longtemps accepté la logique de l’intervention de l’État dans l’économie et de l’État-providence. Le Canada n’a jamais eu de grand parti socialiste, mais un grand nombre d’industries appartiennent à l’État et les deux grands partis ont parrainé d’importantes mesures d’État-providence. Le fait que l’orientation vers la collectivité soit plus forte au Canada qu’aux États-Unis semble refléter la plus grande importance accordée dans le premier pays aux valeurs d’élitisme et de particularisme.
Bien que la société industrielle moderne semble évoluer généralement vers une plus grande acceptation des orientations vers la collectivité, aux États-Unis, l’accent mis sur l’orientation vers l’individu entraîne une forte résistance aux concepts de bien-être communautaire. La montée de la résistance de l’extrême droite à de tels changements peut refléter le fait que les valeurs d’orientation vers soi sont plus fortes parmi de larges segments de la population américaine qu’elles ne le sont au sein des sociétés ayant un fond aristocratique et élitiste. Ainsi, les valeurs d’élitisme et d’ascription peuvent opérer contre les excès du populisme et faciliter l’acceptation d’un État-providence par les couches privilégiées, alors que l’emphase sur l’auto-orientation et l’anti-élitisme peut être propice au populisme de droite.
La plus grande similitude entre l’Australie et les États-Unis, et leur différence avec le Canada et surtout la Grande-Bretagne, dans l’occurrence des menaces populistes au principe de la procédure régulière se reflète dans une certaine mesure dans la mesure où les deux premiers tolèrent l’anarchie. L’absence relative de mécanismes de contrôle social traditionnels, hiérarchiquement enracinés, n’entraîne qu’une faible pression sociale pour obéir aux règles sans coercition. Comme l’a bien dit l’historien australien Russell Ward, le « respect pour le châtelain », qui sous-tend l’acceptation de l’autorité et des contrôles sociaux informels en Grande-Bretagne, est « fondé sur des obligations traditionnelles qui étaient, ou avaient été, dans une certaine mesure mutuelles » (1959, p. 27). La déférence envers le statut n’a pas été facilement transférée dans les nouvelles sociétés égalitaires qui mettent l’accent sur le lien universel de l’argent comme base des relations sociales. Les plaintes souvent entendues aux États-Unis au sujet de la corruption comme moyen de réussite ont également été exprimées par les Australiens (Bryce 1921, p. 276-277 ; Jeanne MacKenzie 1962, p. 154, 220-222). « Ils s’accommodent de la domination des patrons et de la corruption dans les syndicats ; ils ne se soucient guère du charcutage des circonscriptions électorales » (Norman MacKenzie 1963, p. 154 ; Lipset 1963, p. 199-202). Ni la corruption syndicale ni le gerrymandering ne sont aussi répandus en Grande-Bretagne et au Canada.
Un indicateur de la force relative des mécanismes normatifs informels de contrôle social par rapport à l’importance des sanctions légales peut être la taille relative de la profession juridique. L’ordre de classement des quatre nations en ce qui concerne le ratio d’avocats par rapport à la population suggère que les États-Unis dépendent le plus fortement des règles juridiques formelles (un avocat pour 868 personnes), l’Australie en second lieu (un pour 1 210), le Canada en troisième lieu (un pour 1 630) et la Grande-Bretagne en dernier et dernier lieu (un pour 2 222 personnes) (Lipset 1963, p. 264).
Les États-Unis ont le taux de criminalité le plus élevé des quatre et l’Australie le deuxième. Le mépris de la loi en Australie s’exprime par un manque de respect pour la police et pour les forces de l’ordre en général. Ces attitudes, liées non seulement à des attitudes égalitaires envers l’autorité, mais aussi peut-être aux origines pénitentiaires du pays, sont évidentes dans le commentaire selon lequel « il n’est pas rare d’entendre parler d’une foule qui assiste à une bagarre entre un policier et un petit criminel et qui n’intervient que pour gêner la police et permettre au criminel de s’échapper » (MacDougall 1963, p. 273). Une étude du caractère national australien affirme sans équivoque que « l’aversion et la méfiance à l’égard des policiers … se sont profondément ancrées dans la conscience nationale » (Jeanne MacKenzie 1962, p. 149). De même, des études sur la police américaine indiquent que le policier perçoit généralement les citoyens comme hostiles à son égard (Skolnick 1966, p. 50). Les policiers britanniques sont un peu moins susceptibles de ressentir l’hostilité de la communauté (Banton 1964, p. 125-126). La différence entre le respect américain et britannique pour la police est mise en évidence dans une analyse de contenu des intrigues de films dans les deux pays : « Dans les films américains, la police se trompe souvent, et le détective privé doit résoudre le mystère. Dans les films britanniques, la police a presque toujours raison » (Wolfenstein 1955, p. 312). Et les implications de ces conclusions sont renforcées par les résultats d’une étude détaillée du public anglais qui rapporte « une appréciation enthousiaste de la police », l’auteur commentant qu’il « ne pense pas que la police anglaise ait jamais été ressentie comme l’ennemie de sections non criminelles importantes de la population… » (Gorer 1955, p. 295). (Gorer 1955, p. 295). De même, il semble que les Canadiens s’accordent généralement à dire que le respect accordé à leur police nationale, la Gendarmerie royale du Canada, dépasse de loin celui qui a jamais été accordé à la police des États-Unis (Wrong 1955, p. 38 ; Lipset 1965, p. 28-30, 50-51).
Autres illustrations
Le schéma constant des différences entre les quatre grandes nations anglophones peut être poursuivi selon plusieurs axes. Les études de littérature comparée suggèrent que, la Grande-Bretagne étant élitiste et les États-Unis égalitaires, la première a eu une plus grande influence sur la littérature canadienne et que les écrivains américains ont eu un impact plus important sur les Australiens :
Les écrivains canadiens ont été moins sensibles que les Australiens aux influences américaines. Entre les modèles anglais et américains, ils ont préféré l’anglais. … Les écrivains canadiens ont eu plus de mal que les Australiens à absorber le réalisme exubérant qui accompagnait l’expansion de la démocratie américaine. Whitman n’a suscité que le plus faible des disciples au Canada, mais il a été une bible politique et une inspiration littéraire pour Bernard O’Dowd, peut-être le meilleur des poètes australiens pré-modernes. La littérature utopique et protestataire américaine a trouvé des lecteurs enthousiastes en Australie, mais relativement peu au Canada. (Bissell 1956, pp. 133-134)
Les intellectuels canadiens ont tenté de démontrer qu’ils étaient supérieurs aux vulgarités grossières de la culture populiste américaine et presque aussi bons que les intellectuels anglais. Les intellectuels australiens ont rejeté le modèle culturel anglais comme étant lié à une société élitiste décadente et ont souvent brandi les écrits égalitaires américains comme un modèle supérieur. Ainsi, alors que les critiques canadiens ont loué le poète Charles Sangster parce qu' »il peut être considéré comme le Wordsworth canadien », les critiques australiens ont loué le poète Charles Harpur pour le fait qu’il « n’était pas le Wordsworth australien » (Matthews 1962, pp. 58-59).
Les différences entre les nations, notamment en ce qui concerne l’égalitarisme, sont mises en évidence par leurs légendes et leurs héros populaires. En Australie, les héros sont fréquemment des hommes qui défient l’autorité et restent fidèles à leurs compagnons. Une liste de héros populaires australiens comprendrait Ned Kelly, le bushranger hors-la-loi, et Peter Lalor, le chef rebelle de l’Eureka Stockade (Taft 1962, p. 193). Les analyses comparatives des cultures canadienne et américaine soulignent que de nombreux héros américains sont également des rebelles à l’autorité : cow-boys, mineurs, justiciers, hommes de la frontière, qui fuient sans cesse l’arrivée de l’autorité, « tandis qu’au Canada, le « mountie », un policier qui représente clairement la loi et l’ordre et l’autorité institutionnelle traditionnelle, est le symbole correspondant de l’expansion vers l’ouest du Canada » (Wrong 1955, p. 38). Ou, comme l’a rapporté S. D. Clark, « nous avons eu tendance à rejeter nos rebelles du passé comme des individus malavisés en désaccord avec leurs concitoyens » (1959, p. 3). Mais l’histoire et la mythologie anglaises, Robin des Bois mis à part, glorifient les actes des monarques, des aristocrates et de ceux qui ont défendu la légitimité des institutions hiérarchiques nationales.
Les rapports impressionnistes concernant les différentes manières dont les conscrits civils des quatre pays ont réagi à l’organisation hiérarchique de la vie militaire pendant les deux guerres mondiales coïncident avec les estimations des différences de valeurs nationales. Les Britanniques, et dans une moindre mesure les Canadiens, auraient mieux accepté les structures autoritaires, alors que les Américains et les Australiens ont manifesté un fort ressentiment à l’idée de devoir faire preuve de déférence envers les supérieurs militaires. Une étude sur l’armée australienne rapporte que les troupes anglaises « acceptaient le principe selon lequel les affaires générales du grand monde étaient l’affaire de leurs seuls supérieurs plutôt que d’eux-mêmes ; si une action sortant de la routine était requise, ils attendaient de leurs officiers qu’ils leur disent quoi faire et comment le faire. En Australie, la distinction entre les classes sociales était si mal ressentie qu’il était difficile de faire en sorte que des Australiens de naissance servent comme batteurs et palefreniers d’officiers… » (Crawford 1952, p. 155). Et divers observateurs ont rapporté que dans les bars de Londres pendant les deux guerres mondiales, les Américains et les Australiens avaient tendance à se fréquenter, tandis que les Canadiens étaient plus susceptibles que les Australiens de préférer des compagnons britanniques. Plus récemment, un observateur anglais a fait le commentaire suivant : » On remarque que les Canadiens sont intimement chez eux lorsqu’ils vont en Angleterre… « . (Pritchett 1964, p. 189).
Malheureusement, il existe peu d’études systématiques des différences institutionnelles dans les quatre pays, et pas beaucoup plus qui traitent de deux d’entre eux. Mais celles qui existent, qu’elles contrastent l’éducation, l’organisation familiale, la religion, la politique, la police ou le fonctionnement du système judiciaire, tendent à renforcer l’interprétation générale avancée ici des conséquences des variations systématiques des grandes valeurs sociétales.
Congruence des valeurs
Bien que d’importantes différences continuent d’exister entre les quatre grandes nations anglo-américaines, une lecture du dossier historique suggérerait que les différences ont diminué au fil des générations. Les orientations de réalisation ont augmenté en dehors des États-Unis ; le particularisme de classe semble moins fort en Australie que par le passé ; l’image de soi des États-Unis en tant que nation démocratique égalitaire radicale opposée aux régimes monarchiques, aristocratiques et impérialistes réactionnaires d’Europe a été remise en question par son récent rôle mondial de soutien des régimes existants contre les mouvements révolutionnaires communistes et parfois non communistes ; l’autojustification du Canada contre les États-Unis comme contre-révolutionnaire et contre la démocratie de masse a également subi d’importants changements. De nombreux Canadiens cherchent maintenant à défendre l’intégrité du Canada contre les États-Unis en définissant leur propre pays comme le plus humain, le plus égalitaire, le plus démocratique et le plus anti-impérialiste des deux. En Grande-Bretagne, depuis la Seconde Guerre mondiale, le parti travailliste a été en mesure de lutter régulièrement pour le contrôle du gouvernement, il l’a obtenu à l’occasion et peut s’attendre à détenir le pouvoir fréquemment dans les décennies à venir. Le parti travailliste cherche à promouvoir les valeurs de réussite, d’universalisme et d’égalitarisme. Aux Etats-Unis, les valeurs d’orientation collective gagnent en respectabilité ; le concept d’Etat-providence, bien qu’il soit encore moins universellement accepté que dans les trois autres nations, est apprécié par un nombre croissant d’Américains. Il est évidemment impossible de prédire à quel point les valeurs et les cultures de ces quatre sociétés seront similaires à l’avenir, mais les tendances générales sont claires – les changements structurels et les événements politiques les poussent vers une congruence des valeurs.
Seymour M. Lipset
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