3 Biologie du développement
Peut-être que le plus grand défi pour un mécaniste, et le contexte dans lequel le vitalisme a conservé le plus fortement son influence, est le développement. Partant d’un œuf indifférencié et singulier, le développement aboutit à un organisme à la structure régulière et différenciée. Le problème est d’expliquer comment cette différenciation régulière est possible. Descartes défendait une vision épigénétique du développement embryologique ; cependant, Descartes ne pouvait expliquer comment un organisme vivant complexe pouvait résulter de la matière et du mouvement. Cela a conduit Nicolas Malebranche (1638-1715) à développer une théorie de la préformation par emboîtement, selon laquelle les cellules germinales contiennent, entièrement formé, l’organisme. Au cours du XVIIe siècle, la préformation offrait un moyen de tenir compte de l’opinion selon laquelle les lois mécanistes étaient insuffisantes pour expliquer la construction d’organismes vivants à partir de matière inorganisée. La préexistence de l’organisme évitait également les implications athées et matérialistes d’une épigenèse mécaniste, en permettant que tous les organismes soient préformés par le créateur. La préformation a été largement adoptée au début du dix-huitième siècle. Pierre-Louis Maupertuis (1698-1759), le comte de Buffon (1713-81) et Needham ont pris la défense de l’épigenèse au milieu du siècle, remettant en cause le préformationnisme. Tous trois ont élargi l’éventail des mécanismes disponibles pour y inclure les forces attractives. Confronté au problème de l’explication de l’émergence de l’organisation, Maupertuis attribue l’intelligence et la mémoire aux plus petites particules vivantes. Sur la base d’expériences réalisées avec Needham, Buffon propose que le développement des organismes dépende de « forces pénétrantes » analogues à la gravité et à l’attraction magnétique. Needham conclut à l’existence d’une « force végétative » qui est à l’origine de toutes les activités de la vie. Ce sont des propositions vitalistes, qui n’ont de sens que dans le cadre d’un programme mécaniste.
Des problèmes similaires ont persisté tout au long des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Bien que Berzelius soit mécaniste face à la physiologie, la production de la forme organique semblait défier toute explication chimique. Il a donc suggéré qu’il existait une force vitale différente des éléments inorganiques et régulant le développement. Charles Bonnet (1720-93), de son côté, était un champion enthousiaste du préformationnisme. Il a découvert la parthénogenèse chez le puceron, concluant que la cellule germinale femelle contenait des individus entièrement préformés, même s’il admettait qu’il n’était pas nécessaire qu’ils soient exactement sous la forme dans laquelle ils existent dans l’organisme adulte. Au-delà, il ne voyait aucune explication, soulignant que l’état actuel des connaissances physiques ne permet aucune explication mécanique de la formation d’un animal. Bonnet n’embrassait aucune force vitale, et avait donc besoin d’une organisation primitive.
À la fin du XIXe siècle, des controverses analogues refont surface, bien que transformées et soumises à l’investigation expérimentale. En étudiant le développement, Wilhelm Roux (1831-1924) a lancé une version expérimentale de l’Entwicklungsmechanik en faveur des déterminants internes du développement. Il a adopté une théorie du développement en « mosaïque », selon laquelle les déterminants héréditaires sont distribués de manière qualitativement inégale dans l’œuf fécondé. Lorsque la cellule se divise, les cellules filles se différencient génétiquement et ces différences expliquent la différenciation des organismes. En 1888, Roux a décrit des expériences destinées à tester l’idée d’une auto-différenciation embryonnaire. Au premier clivage du développement d’une grenouille, il détruit un blastomère avec une aiguille chaude. Dans environ 20 % des cas, le blastomère restant a continué à se développer et est devenu un demi-embryon. Il en conclut que les blastomères se développent indépendamment, en fonction principalement de leur constitution interne. Il en conclut que les blastomères se développent de manière indépendante, en fonction principalement de leur constitution interne, ce qui confirme l’idée que le développement est contrôlé par un matériel qui se répartit successivement entre les cellules de l’organisme. Ce matériau, pensait-il, déterminait la croissance de l’organisme sous une forme entièrement mécanique. En 1891, Driesch réalise une expérience qui semble à première vue très similaire, mais dont les résultats sont radicalement différents. En utilisant des oursins, il sépare les blastomères au stade de deux cellules. Chaque blastomère se développe en une blastula plus petite mais complète. Il a considéré que ce résultat était incompatible avec le récit mécaniste de Roux et, en particulier, avec l’idée que la division de la cellule impliquait une division du « germe » contrôlant le développement. Puisque les blastomères ont la capacité de se développer en organismes complets, il ne peut y avoir le type de différenciation et de contrôle interne que Roux a observé. Driesch a d’abord cherché des facteurs épigénétiques externes pour expliquer le développement. Il en est venu à considérer le développement comme la réponse d’un organisme vivant plutôt que comme un processus mécanique prédéterminé. Il ne nie pas que des processus physiques et chimiques se manifestent dans le développement, mais il estime que le moment du développement nécessite une explication particulière. Les lois physiques imposent donc des contraintes aux possibilités, mais laissent le résultat réel indéterminé. Les liens n’ont pas été immédiatement établis, mais Driesch a finalement été conduit à une vision téléologique et vitaliste du développement qui, selon lui, pouvait expliquer les modèles de développement.