Les couineurs ou arthroleptides sont un groupe de grenouilles d’environ 150 espèces* incluses dans seulement 8 genres. Toutes sont endémiques de l’Afrique sub-saharienne, bien qu’une espèce – Leptopelis palmatus – soit présente sur l’île de Principe et qu’il y ait également des espèces sur Bioko et Zanzibar. Le groupe tire son nom commun des cris émis par les espèces d’Arthroleptis, bien qu’elles soient parfois aussi appelées grenouilles hurlantes.

* Il était 130 lorsque j’ai écrit pour la dernière fois sur le groupe, en 2007.

La grenouille d’humus de Wahlberg Arthroleptis wahlbergii. Crédit : Serban Proches

En général, les couineurs sont de petites grenouilles du sol forestier qui pondent leurs œufs dans des terriers ou des cavités du sol humide. Certaines sont scansorielles, d’autres sont des habitantes de cours d’eau très aquatiques et Leptodactylon semble passer la plupart de son temps sous terre. Chez Arthroleptis et peut-être certaines espèces de Leptopelis, le développement direct est présent et un stade de têtard est sauté. Les autres ont, par contre, une phase têtard. La taille du corps est très variable, certaines espèces d’Arthroleptis ne mesurant que 15 mm de long. À l’autre extrémité de l’échelle, les mâles de Trichobatrachus (dont nous parlerons plus loin) atteignent 130 mm. Oui, les mâles – c’est une de ces grenouilles bizarres où les mâles sont plus grands que les femelles.

Grenouille argentée à longs doigts Cardioglossa leucomystax, mais malheureusement sans que les longs doigts soient si évidents. Crédit : Václav Gvoždík

Les couineurs ont tendance à avoir des pupilles verticales, un caractère rare chez les grenouilles néobatrachiennes. Un troisième doigt particulièrement long est présent chez les mâles d’Arthroleptis et de Cardioglossa, ces derniers étant parfois qualifiés de grenouilles à longs doigts (Blackburn 2009). Des coussinets glandulaires sur le membre antérieur ou la poitrine sont présents chez certaines espèces de Leptopelis et des coussinets nuptiaux sont présents sur les mains de Leptodactylon, Astylosternus et d’autres.

L’unique grenouille velue. Font probablement partie du clade des couineurs les plusieurs taxons qui étaient autrefois regroupés sous le nom d’astylosternines ou astylosternidés. Ils sont tous extrêmement obscurs et mal connus, à l’exception de Trichobatrachus robustus, la grenouille velue d’Afrique occidentale tropicale. Soit dit en passant, cette espèce a été nommée (par le légendaire herpétologiste George Albert Boulenger) en 1900, ce qui est étonnamment récent pour un amphibien aussi charismatique, célèbre et (raisonnablement) grand. Mais encore une fois, la grenouille Goliath Conraua goliath a été nommée en 1906… également par Boulenger.

Fantastique illustration du 19ème siècle de Trichobatrachus mâle par J. Green. Crédit : J. Green, Proceedings of the Zoological Society of London 1901

Pendant la saison de reproduction, les mâles et les mâles seuls développent des franges de papilles ressemblant à des poils le long de leurs flancs et de leurs cuisses (notez que certains auteurs du passé ne savaient pas que les papilles étaient uniques aux mâles et ont écrit que les femelles possédaient également ces structures). Douze hypothèses différentes ont été avancées pour expliquer l’évolution de ces structures, mais la plus populaire, et de loin, est qu’elles pourraient augmenter la surface de l’animal et ainsi permettre une plus grande respiration cutanée, ce qui lui permettrait de rester immergé pendant qu’il protège ses œufs. C’est ce qu’a suggéré Dean (1912) entre autres, mais il a imaginé que les mâles arrangeaient en quelque sorte les œufs autour de leurs papilles : tout à fait comment le mâle était censé mettre les œufs en position, je ne suis pas sûr (Dean avait en tête les crapauds accoucheurs, mais ils doivent  » seulement  » enrouler les brins d’œufs autour de leurs membres postérieurs).

Spécimenaxidermique de grenouille chevelue au Natural History Museum, Londres. Comme c’est souvent le cas, je suis étonné par le peu d’imagerie disponible (viz, CC) de cette espèce en ligne. Crédit : Emoke Dénes

Plus récemment, Barej et al. (2010) ont proposé que les papilles aient évolué de pair avec les griffes que ces grenouilles possèdent et qui leur assurent une protection mécanique lors des combats d’accouplement. Des griffes ?

Ah oui – des griffes. Les grenouilles chevelues sont également bizarres car elles possèdent des griffes sur les deuxième, troisième et quatrième orteils de leurs pattes arrière (la présence d’une griffe sur le cinquième orteil a été rapportée par certains auteurs mais semble erronée). La grenouille velue n’est pas unique à cet égard : des griffes sur les pieds postérieurs sont également présentes sur les mêmes orteils chez Astylosternus, et sur les deuxième et troisième orteils chez Scotobleps.

Grenouille des forêts du Gabon (Scotobleps gabonicus). Crédit : Bernard Dupont

Comme cela est maintenant relativement bien connu, ces griffes ne sont pas des éléments externes gainés de kératine (comme c’est le cas chez les amniotes) mais des phalanges distales en forme de crochet qui se détachent réellement d’un nodule attaché et transpercent les tissus de l’animal lorsque cela est nécessaire (Blackburn et al. 2008). Oui, ce sont des grenouilles qui font une sorte de « truc de carcajou » quand le moment est venu. Les travaux récents sur ces griffes ont fait l’objet d’une grande attention de la part des médias, les articles populaires comprenant des termes tels que  » superfrogues « ,  » grenouilles carcajou  » et  » grenouilles d’horreur « . Comme l’ont souligné avec un certain degré de curiosité (est-ce un mot ?) Barej et al. (2010), la présence et l’anatomie détaillée des griffes sont connues depuis les travaux de Boulenger. Cependant, comme les individus de certaines espèces d’arthroleptides ont été trouvés avec les griffes encore en position interne alors que d’autres avaient leurs griffes exposées, une ambiguïté persistait quant à l’état normal, et encore moins quant à la façon dont les griffes étaient déployées.

Griffes visibles sur les pattes arrière de (a) Astylosternus, (b) Trichobatrachus et (c) Scotobleps. Barre d’échelle = 5 mm. Crédit : Barej et al. (2010)

Et à quoi servent les griffes de toute façon ? Le fait que l’on connaisse des individus portant des cicatrices et d’autres blessures – Ivan Sanderson, Gerald Durrell et d’autres zoologistes et naturalistes ont noté ces cicatrices au fil des ans – et que les griffes non gainées puissent couper la peau humaine soutiennent l’idée qu’elles ont évolué dans le contexte de combats intraspécifiques (Barej et al. 2010), et en phase avec les papilles dermiques et le dimorphisme de taille sexuel.

Quatrième orteil d’Arthroleptis, montrant (a) la griffe en position non gainée ; (b) en forme dégagée et colorée, montrant le nodule et la gaine suspensive qui sont attachés à la griffe avant qu’elle ne perce la peau. Crédit : Blackburn et al. (2008)

Une autre chose intéressante à propos de ces griffes est que les arthroleptides qui les possèdent ne sont – apparemment – pas des parents particulièrement proches, des taxons sans griffes se trouvant entre eux dans la phylogénie (Scott 2005). Cela signifie-t-il que les griffes ont évolué une fois au sein des Arthroleptidae et qu’elles ont ensuite été perdues par plusieurs lignées indépendamment, que les griffes ont évolué de manière convergente à quelques reprises ou que les taxons porteurs de griffes sont en fait des parents proches et que les phylogénies qui les décrivent comme bien distincts sont en fait erronées ? Toutes les possibilités persistent à l’heure actuelle (Barej et al. 2010).

Et bien qu’il y ait beaucoup d’autres choses à dire sur les arthroleptides, c’est là que nous devons nous arrêter pour le moment. Pour les précédents articles du Tet Zoo sur les anoures (c’est-à-dire les grenouilles et les crapauds), voir…

  • À la poursuite des grenouilles roumaines (partie I : Bombina)
  • À la poursuite des grenouilles roumaines (partie II : les grenouilles d’eau du Paléarctique occidental ! !!)
  • À la poursuite des grenouilles roumaines (partie III : grenouilles brunes)
  • La série des crapauds arrive à SciAm : parce que l’Afrique a aussi des crapauds
  • Crapauds à 20 chromosomes
  • Grenouilles de verre : peau translucide, os verts, épines du bras
  • Tout le monde aime les grenouilles de verre
  • Crapauds arboricoles africains, crapauds à petite langue, crapauds à quatre chiffres, crapauds à dos rouge : oui, tout un tas de crapauds africains obscurs
  • Les grenouilles de Perse : des piques sans piques
  • Mégophrys : tellement plus que Megophrys nasuta
  • Les crapauds à pieds de bêche nord-américains et leurs incroyables têtards polymorphes à métamorphose rapide
  • Nids de têtards, passés et présents
  • Gladiateurs grenouilles de verre, redux
  • Des grenouilles dont vous n’avez peut-être pas entendu parler : Les Cycloramphus  » grenouilles-boutons  » du Brésil
  • Il y a tellement plus de grenouilles volantes que de grenouilles volantes
  • Les  » étranges grenouilles compagnes de lit  » (partie I) : des brevicipitides rondes et adorables
  • C’est le crapaud d’eau casqué… cette fois, avec des informations !
  • Une brève introduction aux grenouilles des roseaux, des laîches et des lys
  • « Étranges grenouilles compagnes de lit » (partie II) : les grenouilles à nez de cochon ou à nez de pelle, ou encore les museaux-bourreaux

Références – –

Barej, M. F., Böhme, W., Perry, S. F., Wagner, P. & Schmitz, A. 2010. La grenouille velue, un combattant frisé ? – Une nouvelle hypothèse sur la fonction des poils et des phalanges terminales en forme de griffes, y compris leur signification biologique et systématique (Anura : Arthroleptidae : Trichobatrachus). Revue Suisse de Zoologie 117 : 243-263.

Blackburn, D. C. 2009. Diversité et évolution des caractères sexuels secondaires mâles chez les grinceurs africains et les grenouilles à longs doigts. Biological Journal of the Linnean Society 96, 553-573.

Blackburn, D. C., Hanken, J. & Jenkins, F. A., Jr. 2008. Des armes dissimulées : les griffes érectiles chez les grenouilles africaines. Biology Letters 4, 355-357.

Dean, B. 1912. Sur les appendices ciliés chez la grenouille, Astylosternus robustus (Blgr.). Bulletin du Musée américain d’histoire naturelle 31, 349-351.

Scott, E. 2005. Une phylogénie des grenouilles ranidées (Anura : Ranoidea : Ranidae), basée sur une analyse simultanée des données morphologiques et moléculaires. Cladistics 21, 507-574.

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